C’était un lundi comme les autres, un lundi d’avril, un lundi avec un ciel bleu et l’air un peu frais. C’était le 3 avril. Je marchais sur le trottoir, comme tous les matins, de la musique dans les oreilles, en riant des poissons du samedi. La pêche avait été bonne. La voix élégante et douce de Snoh Aalegra glissait de manière presque surnaturelle sur des airs délicats et froids. Elle racontait la confusion, la douleur, la rupture, la fin de quelque chose. Mais ce n’était pas que des refrains. Ce n’était pas que des histoires. J’aurais dû me méfier.
J’ai entendu son pas dans la pièce d’à côté. Ses talons claquaient sur le vieux plancher de bois. C’était dur et décidé. Pas comme d’habitude. Et puis, j’ai vu son visage, fermé, ses lèvres serrées. Une vague de tristesse et de colère qui entre avec lui dans la pièce. Il n’a pas encore prononcé un mot. Je sens sa douleur, vive mais contenue. Qu’est-ce qui se passe? Et puis une phrase qui sonne comme un glas, qui dit : c’est fini.
Je suis sidérée. Je ne vois plus, je n’entends plus, ma bouche est sèche, ma respiration courte : mon coeur se fige. Non! Ça ne se peut pas! Pas encore! Pas deux fois comme ça, sans crier gare. Je ne veux pas. Mon corps se tend pour éviter la chute. Si je naviguais en mer, ce serait le naufrage. Incapable de rester à flot, est-ce que je m’enfoncerais profondément, avalée par les vagues indifférentes?
Pourquoi? Ce mot résonne et frappe dans ma tête vide, ne trouvant aucune réponse. J’ai besoin qu’on m’explique. Mais la journée passe et je suis comme une orpheline, avec ce grand chagrin à garder comme un secret honteux. Je voudrais crier, pleurer, taper pour faire sortir le doute, la colère et la peur. Mais je ne peux pas, pas maintenant, j’ai besoin de me protéger, j’ai un autre combat à mener, plus tard.
Mon cerveau se barricade. Il ne sait plus où il est et ce qu’il fait. Mes mains tapotent machinalement sur le clavier. Chaque touche est un pavé auxquels mes doigts s’accrochent pour garder contact avec la réalité.
Tu me demandes de temps en temps comment je vais. Je vais mal. Je ferme les yeux mais, quand je les rouvre, c’est tout noir. La descente continue.
Vibrations dans ma poche. Je serai là à 17h qui s’affiche sur l’écran. Plus que quelques heures et il entrera dans ma maison. Il va peut-être crier ou me dire des mots durs et blessants. Il ne dira peut-être rien et ne me regardera même pas. Je ne sais pas ce que je crains le plus : sa violence ou son indifférence.
Tout le monde pense que je suis forte et que je n’ai besoin de personne, mais moi je me sens comme une enfant perdue. Souvent. Dans ma tête tourne en boucle une question : « Qu’est-ce que ce sera quand le jour sera terminé? »
L’heure est arrivée. Je suis prête, mais rien n’arrive. Je le sais qu’il le fait exprès. Je sens mon corps qui bout. Je sens mes mains qui tremblent. Et tout à coup comme si l’attente n’était pas assez cruelle, viennent les mots durs, les phrases assassines. Alors, dans mon esprit comme sur la platine tournent à en être étourdie ces mots : « Tout ce que tu as à faire, c’est de tenir le coup. Ton jour ne se transformera pas en nuit. C’est ton combat sacré. Tu es la guerrière, la puissante. »
Il ne saura jamais que je me sentais faible quand il a traversé la pièce et a vidé le placard. Il ne saura jamais que, si je lui ai tourné le dos, c’était pour ne pas voir son visage, pour ne pas rester prise dans son regard comme dans un labyrinthe sans issue, pour le sortir de ma tête à jamais, pour que ne subsiste aucune trace de ses yeux dans les miens. Effacés, les souvenirs.
Deux petites minutes, à peine. Le bruit des roulettes sur le plancher et puis la porte qui claque et puis, plus rien. Le silence. Fin!
Après, je suis sortie : j’avais besoin d’air. La Lune était bien ronde et lumineuse. Elle éclairait le chemin. Tout droit, par là : devant.
On a l’impression que tout s’effondre, qu’il n’y aura pas de lendemain, que l’imparfait est le seul temps qu’il nous reste pour parler de nous. J’étais…
Pourtant, une fin n’est une fin que jusqu’à ce que ce soit un début.
Il suffirait de presque rien, peut-être 25 années de moins, pour qu’ils se disent « je t’aime ».
Adapté de Serge Reggiani
À Jonathan W. K.
45° 30′ 6.08″ N 73° 34′ 2.122″ W : Montréal.
37° 18′ N, 26° 44′ E : Lipsi.
Sur la carte qui s’affiche à l’écran, tel un aiguilleur du ciel, mon esprit a tracé entre ces deux points une ligne. La ligne survole un océan, un continent puis une autre mer. Elle est longue de 7843 km. À bien y regarder, ce n’est pas tout à fait une ligne, c’est plutôt une corde que je m’obstine à tendre entre nous deux. Une corde que je tiens fermement, l’agitant vigoureusement chaque jour pour que tu en ressentes les vibrations. Mais ces dernières si vives à l’origine s’atténuent jusqu’à mourir à leur arrivée car la corde est molle dans ta main et les mots qu’elles transportent ne sont plus que murmures inaudibles quand ils te parviennent. Tu ne les entends pas, pas plus d’ailleurs que lorsque seulement un vol d’oiseau nous sépare à Montréal. Que je sois si loin ou tout près, rien ne change et rien ne changera jamais. Ma raison le sait. Elle le sait tellement qu’elle en devient folle. Mon cœur, lui, espère. Il espère encore, animé par la foi ardente qui inspirait jadis les moines soldats. Qui est le plus fou?
Je suis sortie sur le pont avant du catamaran. Rapidement, l’île de Kos rapetisse pour n’être plus qu’une masse informe puis un minuscule point auquel le sillage blanc de l’écume laissée par les moteurs bruyants du bateau ne nous reliera bientôt plus. Les embruns salent mon visage et laissent des cristaux sur ma peau. Je dois lutter et m’agripper solidement à la rambarde pour rester debout.
Au loin, par delà l’horizon bleuté de la mer Égée, c’est la découpe escarpée d’îles sauvages et inhospitalières qui s’imprime dans ma rétine. Naturellement alors, comme invité par l’aridité du paysage, tu viens hanter mon esprit. D’abord, ton visage, impassible et grave où pas un muscle ne bouge, tel une forteresse imprenable, à l’épreuve de toute émotion, insensible aux baisers que mes lèvres, en quête d’un passage vers ton cœur, déposent sur ta bouche, sur ton nez, sur tes joues comme de petits cailloux blancs. Puis ton regard sérieux et sombre où seulement un léger clignement des paupières permet de te distinguer d’une statue de marbre.
Je ferme les yeux, pensant trouver une échappatoire, priant pour que ton visage et tes yeux disparaissent, mais en vain. C’est ton corps sculpté et ferme, fringant et superbe, qui vient m’obséder maintenant. Ma tête se charge d’images érotiques : tous ces souvenirs encore trop frais dans ma mémoire…. le désir qui naît au creux de mes reins quand tu t’approches de moi, le tremblement de mes cuisses qui sertissent tes hanches comme un joyau précieux quand on fait l’amour, la jouissance qui nous laisse sans voix, sans force, à la dérive à côté l’un de l’autre.
Îlots après îlots, le paysage défile devant mes yeux, monotone et terne tellement il se répète dans la succession des blocs de granit beige, parsemés de menus buissons et de broussailles indisciplinées. C’est seulement le contraste important de ces amas rocailleux avec les tonalités changeantes de la mer qui retient mon attention. Je prends quelques clichés, souvenirs de cette première traversée dans les îles du Dodécanèse. Sur les photos, singulièrement, l’iris de mes yeux s’est ajusté avec les bleus de l’onde, qui passent du turquoise au marine, pour se confondre avec eux. Mes oreilles s’imprègnent des sons ambiants : elles perçoivent le claquement des vagues sur la coque du bateau, le vrombissement des moteurs et les voix diffuses des passagers agglutinés sur le pont arrière. Pourtant, c’est le silence qui s’impose, ce silence que tu as toujours installé entre nous, long, profond comme un abîme qui engloutit tout, comme un linceul dont se parent mes mots pour un dernier voyage. Je ne m’y ferai jamais… J’ai besoin de vie, de mouvement, d’action. Pas de cette attente interminable. Pas de cette inertie semblable au trépas. J’ai besoin de réponses à mes questions, j’ai besoin d’entendre ta voix. Des vers de Baudelairesurgissent de ma mémoire… Homme, toujours, tu chériras la mer. La mer est ton miroir. Tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer…
Le bateau s’est éloigné des côtes et la mer est noire maintenant. Mon esprit se laisse couler. Que vais-je trouver?
Des larmes creusent des rigoles sur mes joues salées. Je suis incapable de les contenir. Au même instant, la cicatrice sur mon sein gauche se réveille; la brûlure est intense. Je respire profondément tout en posant une main sur ma poitrine pour calmer la douleur. Peine perdue : la brûlure est si vive qu’elle me plie en deux et que j’en suffoque. Que se passe-t-il? Compter, occuper mon esprit; j’inspire. Compter, captiver mes pensées : un, deux, trois, quatre, cinq. J’expire. Recommencer : un, deux, trois, quatre, cinq. Encore une fois. Mes yeux glissent sur les flancs de l’île. Un, deux, trois, quatre, … et tout à coup, là, tapie dans la paroi abrupte de Kalymnos, la gueule d’un lion apparaît. Son regard perçant me fixe, implacable et dur. À sa gauche, les méandres de la végétation ont dessiné un cœur.
D’autres îlots arides, tous brûlés par le soleil, défilent ensuite devant mes yeux. Rien ne peut survivre ici. Rien. Le miracle de la vie et de l’amour ne peut être que l’affaire des Dieux.
Le bateau poursuit sa route vers Léros. La distance maintenant déforme le lion aperçu dans le flanc de la montagne. Cependant, cette vision a marqué mon esprit à tel point que je scrute désormais chaque parcelle de terre pour y déceler d’autres signes.
C’est en quittant Léros que je décrypte le message du lion. À la pointe de l’île que le catamaran croise à bâbord, c’est un visage qui surgit des amas de pierre, un visage prisonnier du roc à jamais. Je comprends alors que mon salut est là, dans la matière éternelle de chacune de ces îles : faire du grès solide et tenace ton tombeau, un labyrinthe dont aucune princesse ne t’aidera à sortir. Tu y seras prisonnier tant que mon cœur saignera, tant qu’il sera épris de toi, tant que ma mémoire sera capable de restituer parfaitement ton image. Il ne peut en être autrement : tu dois mourir pour que je survive.
Mon regard se perd dans les remous laissés par le navire. La blancheur de l’écume me rappelle Montréal, ses rues enneigées. Je ferme les yeux…
Il est tard, c’est encore l’hiver pour quelques semaines. Dehors, un mélange de grésil et de pluie rend les rues glissantes et la marche hasardeuse. Métro Snowdon, le quai est presque désert. Tu entends la rame qui approche. Tu as hâte de rentrer chez toi après cette nuit intense passée aux urgences du Jewish.
La station s’emplit tout à coup de la présence imposante des wagons sur les rails. Bruit sec des portes qui s’ouvrent, comme un coup de pistolet. Et tout à coup, nous, face à face comme dans un duel à Ok Corral. Nos regards qui se croisent, surpris de se trouver là. Nos regards qui hésitent, troublés, et puis qui s’élancent, s’attachent irrésistiblement jusqu’à se fondre l’un dans l’autre. Le temps n’existe plus. Le monde non plus. Il n’y a que nos yeux enlacés comme dans un tango langoureux, captifs du mystère qui les réunit, présents à chacun, avides et impatients de se découvrir, cherchant un apaisement à leurs douleurs et brisant enfin leurs solitudes.
Dans l’espace qui nous sépare encore, une toile invisible se tend entre nos regards, où des images s’enchaînent rapidement et nous emmènent loin de la grisaille de cette nuit de mars : collines verdoyantes, jardins luxuriants, savane africaine se mêlent sans aucun respect des conventions et composent un tableau coloré, incongru et fauve.
Mouvement mutuel de nos corps l’un vers l’autre : tu entres dans le wagon. Moi, j’ai un pied vers la sortie. Je fais un pas. Nos corps se frôlent. Deux pas. Je sens ton regard brûler ma nuque. Trois. Ralenti. Quatre. Je suis sur le quai. Cinq. Arrêt sur image. Et puis, juste avant que les portes ne se referment, je me retourne. Ton regard est toujours là… ma bouée. Alors, je m’élance pour m’y accrocher comme un naufragé dont c’est la dernière chance avant le trépas. J’y mets tellement de vie dans cet élan que je me trouve propulsée dans le wagon sans pouvoir m’arrêter. Tes bras s’ouvrent, ils m’évitent la chute. J’ai 20 ans, toi 23. Alice et Jonathan ont toute la vie devant eux pour s’aimer.
La corne du navire entrant au port me ramène brutalement à la réalité. Grésillement du disque sur la platine. Il déraille, se met à sauter. En fait, ça ne s’est pas du tout passé comme ça.
J’ouvre les yeux : Lipsi est là, devant moi, blanche et bleue, immaculée, lumineuse, idyllique. Dans quelques minutes, le bateau accostera. Pendant qu’il manoeuvre lentement vers le quai et que j’attends dans l’escalier qui mène au pont supérieur, je découvre sur une vieille carte les noms des îles de l’archipel : Kos, Leros, Pâtmos, Kalymnos, Karpathos, Symi, Rhodes, Tilos, Nissyros, Kastelorizo, Astypalée, Kassos, Chalki, Lipsi. Je les prononce lentement, enthousiaste et inspirée comme le ferait la pythie de Delphes avec les litanies d’un rite antique. Quatorze îles comme autant de sarcophages éternels où je scelle pour toujours une partie de ton corps. Lipsi, l’île de Calypso, la dernière de mon voyage, sera le tombeau de ton cœur.
La jeune à la perle. Dessin adapté de la toile de Vermeer (1665)
À Williams E. M.
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« L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité. »
Nietzsche– La Volonté de puissance
Cette nuit-là, il n’y avait pas de nuages dans le ciel du festival. Et rien de ce qui a existé N’existerait Jamais plus.
Cette nuit-là, il y avait le jazz de Masego, la chaleur du saxophone et les cris des fans dans la foule.
Sous les spotlights, en avant de la scène, Un point qui se détachait comme le ciel, l’eau, la mer, l’air ou l’espace. Un petit point bleu turquoise, Ma robe ample et mobile comme une invitation au voyage. Ma robe bleu serein comme, lorsque, tranquille, On est en partance pour des rêves par-delà les paupières Ou des illusions sans frontières.
Cette nuit-là, c’était l’été, on s’évaderait. Cette nuit-là, je prierais Dieu, mais ce serait pour rien. Pourtant, des roses pleuvraient bien du ciel. Et des billets de 100$ venant d’un royaume qui n’existait pas me permettraient les fantaisies les plus folles.
Pick-up : la batterie casse enfin le silence. Puis clé sur clé, la mélodie remplit la salle. Et enfin sa voix qui crève l’air Et installe le groove Pendant que tournent les loops, s’enchainent les couplets et les Da-Di-La-La des refrains.
J’ai fermé les yeux pour tout absorber sans limite. Pendant des heures, j’ai chanté à tue-tête des ritournelles vives. Battu le tempo en agitant le bras au-dessus des têtes. Comme des milliers de hampes supportant les figures.
Avec la foule, j’ai chanté ces rimes qui parlaient de nous. Mon corps a marqué la cadence suivant les variations de la gamme.
Mais en moi, toutes les cordes ont rompu. Mes yeux ne savent plus déchiffrer la partition. Mes mains sont incapables de jamer.
Mes pieds, toujours en retard d’une mesure.
Ad lib.
Fill, Fla, Tadow. C’est là que je t’ai vue. En fait, plutôt lui que j’ai reconnu dans la foule bigarrée qui se ruait dehors.
De toi, pour être précise, je n’ai aperçu qu’un turban et un visage. Celui d’une autre plutôt, qui n’est ni toi ni l’autre. Ce visage, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre.
Au milieu des corps portée par le rythme, toi, tu étais immobile, Regardant droit devant Fixant je ne sais quoi.
Ton visage impassible contrastait avec les sourires radieux. Les lèvres serrées, étais-tu fâchée ou triste? Tu avais l’air d’arriver d’un autre temps. Une soie mauve, savamment enroulée sur ta chevelure qu’on devinait abondante sous le tissu mordoré.
Dans cette agitation, alors que les mots jaillissaient tout autour, Rebondissant sur les rondes et virevoltant sur les croches, Anita, as-tu entendu le silence du battement de mon coeur? Mon coeur qui a figé alors que ma main s’agitait.
Toi, ce n’était pas moi que tu regardais puisque moi, je n’étais pas là. Non pas là. Pas là du tout. Pas même un petit peu. Même pas le temps d’un silence, d’une blanche ou d’un soupir.
Plus là pour lui qui te suivait. Plus là pour lui qui m’ignorait.
Plus là pour lui qui fuyait mon salut.
Dans la lumière crue des néons, j’ai vu ta peau chromatique
Luisant comme le visage de la jeune fille de Depht, Clair, lumineux, tendre et doux, Anita, ton visage semblait éclairé de l’intérieur.
Dis, Anita, étais-tu heureuse ou triste? Oh, Mon Anita, dis-moi, de quelle couleur sont tes yeux? Sont-ils marrons, verts ou bien bleus? Anita, Oh, dis-moi, ton café? Comment tu le bois?
Qui étais-tu? Je pose la question pourtant je ne devrais pas : tu es si familière : Petit portrait de 15 par 17. Composition et couleurs très simples : du bleu, de l’ocre, du jaune. Quelques traits, peu marqués, fondus : la ligne du nez, invisible.
On doit t’imaginer.
Pourtant, sur la toile, il y a bien une jeune fille qui regarde par-dessus son épaule; elle est coiffée d’un turban exotique et porte une perle à l’oreille que frappe une source de lumière lointaine.
Une jeune fille Inquiète, intrigante, mystérieuse Curieuse, jeune, perdue Énigmatique, surprenante, volontaire
C’est un idéal sur un fond noir : symbole ambigu de pureté ou de vanité?
Une jeune fille Belle, désirable, sensuelle Amoureuse, tendre, triste
Une jeune fille Bonne, dévouée, douce Lumineuse, passionnée, vive Paisible, simple, vraie.
Pourtant, l’essentiel nous échappe toujours : regarder n’est pas voir…
LA SI DO, j’ai improvisé un solo. Avant qu’arrive le sol, je me suis rattrapée, j’ai changé de ton jusqu’à la dernière note.
FA MI RÉ, c’est le dernier accord, plus une croche sur la portée.
Depuis mars 2020, bon nombre de personnes ont dû transporter leur bureau à la maison pour suivre les mesures sanitaires. Si au bureau, vous aviez une chaise et un bureau adaptés (c’est mon cas, j’ai entre autres un bureau ajustable en hauteur qui me permet de changer de positions dans la journée), ce n’est peut-être pas le cas à la maison. Bien que cette nouvelle façon de travailler apporte certains avantages (gain de temps notamment), on remarque aussi plusieurs impacts négatifs sur la santé. À ce titre, beaucoup de problèmes sont reliés aux postures : par exemple, des contractures, des douleurs dorsales et cervicales, ou encore dans les jambes ou les avant-bras. Bref, une mauvaise ergonomie en télétravail peut avoir de graves conséquences à long terme. L’utilisation d’un ordinateur portable représente aussi un défi parce que le clavier et l’écran sont indissociables, ce qui favorise l’adoption de mauvaises postures. Comment y remédier? Voici 3 conseils pour une meilleure vie en santé!
Conseil 1 : S’échauffer
Ça a l’air un peu saugrenu, mais faire un court échauffement d’environ 5 minutes est une excellente manière d’activer vos muscles en favorisant une bonne circulation sanguine, ce qui contribuera à prévenir certaines blessures.
Voir la routine d’échauffement en vidéo.
Conseil 2 : Adopter une bonne posture
écran à une distance minimale d’un bras de vos yeux
pieds complètement appuyés au sol
genoux , hanches et coudes avec un angle de 90 degrés
Si vous utilisez un ordinateur portable et n’avez pas de clavier ni d’écran indépendants, assurez-vous de repousser votre portable sur la table pour appuyer au complet vos avant-bras sur la surface plane. Cela évitera les pressions localisées et supportera mieux les bras. Inclinez l’écran du portable vers l’arrière pour réduire l’inclinaison du cou. Enfin, n’utilisez votre portable que pendant de courtes périodes et prenez régulièrement des pauses.
Si vous devez travailler sur une chaise de cuisine, veillez à avoir un bon appui pour les pieds et supporter le bas du dos par exemple avec une serviette roulée. L’objectif est de maintenir le creux lombaire, comme le fait votre chaise de bureau. Vous devez aussi vérifier que les coudes sont bien à la hauteur de la table, ajoutez un coussin ou un oreiller pour surélever votre assise.
Conseil 3 : Changer de position
Variez régulièrement votre position en vous levant régulièrement.
Astuce : planifier une alarme sur votre téléphone chaque demi-heure pour bouger au moins 30 secondes : par exemple, une marche de 10 à 15 minutes, quelques étirements ou des exercices pour vos yeux feront l’affaire.
Des exercices d’étirement
Les règles à suivre : s’étirer régulièrement dans la journée en maintenant l’étirement un minimum de 15 secondes jusqu’à ressentir une tension musculaire mais aucune douleur en évitant tout mouvement brusque : c’est un étirement pas un concours d’élasticité 😉!
4 exemples d’exercices
En position assise ou debout, lâcher les bras le long du corps puis rapprocher l’oreille de l’épaule. Revenir à la position neutre et ramener le coude vers l’épaule opposée.
En positions assise, ramener les bras et les épaules vers l’arrière puis allonger les mains vers l’avant et arrondir le haut du dos.
En position assise, les fesses sur le rebord de la chaise, allonger une jambe et incliner le tronc vers l’avant, en gardant le dos droit. Puis en position assise, les fesses au fond de la chaise, placer la cheville sur la cuisse opposée. Mettre une légère pression sur le genou en gardant le dos droit.
Ramener la main vers le bas. Ramener le dos de la main vers l’avant-bras.
Chaque 20 minutes, fixez un point à 20 pieds de vous pendant 20 secondes. Cela vous gardera vigilant et contribuera à réduire la fatigue de vos yeux.
Veiller également l’éclairage : ne placez pas votre écran dos à la fenêtre : le contraste violent nuirait à la lisibilité. Évitez aussi de le placer face à une ouverture lumineuse : les reflets vous gêneraient. L’idéal est de placer l’affichage en angle droit avec la fenêtre. Pensez à régler la luminosité de l’écran pour éviter un trop fort contraste avec l’éclairage ambiant. Fermez les stores et les rideaux si le soleil inonde la pièce ou encore utilisez une lampe d’appoint dont l’abat-jour couvre l’ampoule complétement si l’éclairage n’est pas suffisant.
À ne pas faire
S’asseoir sur un tabouret : vous risquez d’avoir les pieds en position de pointes, ce qui va créer une tension;
Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. […] Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.
L’avalée des avalés – Réjean Ducharme
Je suis allée vers la rivière. Il y avait là deux ou trois vieux qui pêchaient, la clope au bec et le visage heureux. Ils semblaient n’avoir rien pris pourtant, à moins qu’au bout de leurs lignes qui faisaient les mortes, ils aient ferré le temps qui passe.
J’ai marché un peu, longeant la rive jusqu’à une petite clairière. Le soleil était singulièrement chaud pour la date. Des feuilles tombaient ici et là, seul signe qu’on était déjà en octobre.
Mon regard ne s’attachait à rien, divaguant sans but et se laissant bercer par le mouvement calme de l’onde, qui frissonnait sous le souffle du vent. Dans mes oreilles, Spotify déversait les nouveautés musicales de la semaine sur lesquelles le clapotis de l’eau se greffait sans aucun égard pour le tempo.
A quelques pieds de la souche où je m’étais assise, un canard faisait sa toilette. Minutieusement, il picorait son plumage, se moquant bien de moi et de ma tristesse que je ne retenais plus.
Des promeneurs s’étaient approchés. Qu’importe! Ils pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, je m’en fichais. Moi, je n’étais déjà plus là. J’étais devant ta porte, ma main dans les airs, hésitante encore…
Trois petits coups secs qui résonnent gravement. Toc.Toc.Toc. Bruit de pas dans le couloir. Tu ouvres. Tu me souris : tu es content de me voir. Tu m’invites à entrer et tu m’ouvres grand tes bras. Tu me gardes un moment contre toi jusqu’à ce que le battement de mon cœur s’apaise, jusqu’à ce qu’il s’accorde tranquillement au rythme du tien.
J’ai besoin de te voir. Mes yeux cherchent les tiens. J’ai besoin d’une digue pour contenir le tumulte. J’ai besoin d’une bouée pour éviter la noyade. De sentir que là, avec toi, pour quelques heures, je suis en sécurité. A l’abri, protégée des tempêtes et du ressac des flots.
Une partie de moi s’affole puis se fige. J’ai peur. Si peur. Et tout à coup, sur mon coeur, la petite entaille laissée par le scalpel se resserre jusqu’à faire si mal que j’en pleure. C’est intolérable. Et si tu ne disais rien? Si tu me regardais l’air surpris ou peut-être même embêté? Si tu ne me comprenais pas? Si tu me jugeais?
Un pessimiste voit un verre à whisky à moitié plein, un optimiste voit un verre à whisky à moitié vide. Moi, je l’aime quand il contient un Sazerac!
Nathalie Couzon
Saviez-vous que même James Bond a renoncé à son Martini lorsqu’il a visité la Nouvelle-Orléans dans Live and Let Die(Vivre et laisser mourir) pour déguster la typique boisson locale! Je vous rappelle la scène : Bond entre dans un bar appelé Fillet of Soul avec son homologue de la CIA, Felix Leiter, et demande un bourbon sans glace. Leiter change la commande pour deux Sazerac en répliquant : « Où est votre sens de l’aventure, James ? C’est la Nouvelle-Orléans, relaxez!»
Live and let die (1973)
Le 23 juin 2008, l’Assemblée législative de la Louisiane a immortalisé ce cocktail en tant que cocktail officiel de la Nouvelle-Orléans. Un musée, The Sazerac House, a même ouvert ses portes en 2019 pour permettre aux curieux de découvrir cette histoire, riche en rebondissements et, il faut bien l’admettre, pour le moins unique pour un cocktail!
C’est l’histoire d’un cocktail…
Alors, voici l’histoire de ce coktail légendaire qui a traversé les siècles. En 1793, dans la partie ouest de l’île d’Hispaniola, qui s’appelait à l’époque Saint-Domingue (et maintenant Haïti), l’esclavage fut aboli, après la rébellion menée contre l’autorité des colons français et riches propriétaires de plantations esclavagistes. Ceux-ci durent quitter l’île et plusieurs d’entre eux se rendirent à la Nouvelle-Orléans (Louisiane) qui était à ce moment sous l’emprise des Espagnols. Antoine Amédée Peychaud, apothicaire et fils de médecin, originaire de Bordeaux en France, était l’un d’eux. Il fit partie de la vague de migration de la révolution de Saint-Domingue vers la Nouvelle-Orléans. Il apporta avec lui une recette aux herbes amères qui, selon certaines versions de l’histoire, était un legs de son père et, selon d’autres, une mixture qu’il aurait lui-même élaborée pour guérir ses patients.
Toujours selon la légende, Peychaud, pour mieux faire passer le «remède» dont l’amertume pouvait rebuter, le mélangeait avec du sucre, un peu d’eau et une bonne rasade de cognac, son préféré, en l’occurrence celui de la maison Sazerac de Forge & Fils, donnant ainsi naissance et son nom au célèbre cocktail emblématique de la ville de la Nouvelle Orléans.
On raconte aussi qu’au milieu du XIXème, plusieurs bars locaux servaient à leurs clients les amers de la pharmacie Peychaud, dont le Sazerac Coffee House, aujourd’hui appelé Sazerac House, dont le propriétaire était agent pour les cognacs et brandys de la maison Sazerac de Forge & Fils.
D’autres récits attribuent la paternité du Sazerac à Thomas Handy, propriétaire du Sazerac Coffee House vers 1871, ou encore à Vincent Miret et Bill Wilkinson dans les années 1890. Mais dans les faits, la première mention connue d’un cocktail Sazerac daterait de mars 1899, lorsqu’un magazine de fraternité, l’Alpha Tau Omega Palm, publie un article où on chante les louanges du fameux cocktail. La recette est également apparue dans un livre intitulé The World’s Drinks and How to Mix Them de William « Cocktail Bill » Boothby en 1900. Pourtant, en 1876, presque les mêmes ingrédients sont cités à l’exception d’un trait d’absinthe au lieu d’un rinçage, dans une recette de cocktail de whisky amélioré du livre de Jerry Thomas, How to Mix Drinks, paru en 1862.
La différence avec la recette des premiers récits est que le cognac aurait été remplacé par du rye whisky pour plusieurs raisons : à compter des années 70, le phylloxéra décime le vignoble français, et notamment le cognaçais. De plus, le whisky de seigle américain plait davantage aux goûts des Américains qui préféraient le « red likker à n’importe quel brandy au visage pâle », mais aussi parce qu’il était difficile de s’approvisionner en brandy français pendant la guerre de Sécession.
La recette évolue encore soi-disant, avec Léon Lamothe, barman d’un autre haut lieu de la Nouvelle-Orléans, qui, à la fin du XIXe siècle, sûrement influencé par la popularité de l’absinthe dans les milieux intellectuels, bohème et tendance de l’époque, ajoute au cocktail un rinçage du verre à l’absinthe, appelée la « Fée verte » pour sa couleur. Ce serait donc Lamothe qui fit du Sazerac ce qu’il est aujourd’hui. Malheureusement, Miret décède en 1899 et Wilkinson en 1905 et ne laissent aucun écrit pour infirmer l’une ou l’autre des versions existantes. C’est une chance en fin de compte car s’ils l’avaient fait, je n’aurais pas eu le plaisir d’écrire cet article!
Malheureusement, l’absinthe sera interdite en 1912 dans de nombreux pays du monde parce qu’on lui reproche de produire des effets hallucinogènes. Cette interdiction signifia alors pour le Sazerac que la recette devait encore évoluer et qu’il ne pourrait être préparé désormais qu’à l’aide d’un substitut légal, tel une liqueur anisée comme l’Herbsaint (une liqueur inventée à la Nouvelle-Orléans qui dispose du même profil organoleptique) ou le Pernod. Le Sazerac tomba alors dans l’oubli; ce n’est qu’à partir de 1998 qu’il retrouva ses lettres de noblesse sur le zinc quand la production d’absinthe fut de nouveau autorisée.
Ma préférence à moi
Le Sazerac est mon cocktail préféré simplement parce qu’il est authentiquement un cocktail aromatique à souhait et intense en goût. Au nez, une version au cognac exhalera un joli boisé complété par les notes herbacées et les saveurs de bonbon distinctives de l’absinthe. Ces parfums et saveurs, combinés à la qualité botanique des amers Peychaud et Angostura, agrémenteront subtilement cette boisson et la transformeront en un cocktail qui vous ramènera à la grandeur de la vieille Nouvelle-Orléans. Dépaysement assuré!
Si vous optez pour la version au whisky, ce sera alors des notes plus épicées qui vont charmer vos papilles. Et si vous cherchez plutôt un whisky moelleux et délicieux, délicat et complexe, bref, le parfait allié de ce cocktail, choisissez le Sazerac Rye pour l’authenticité. Attendez-vous alors à un profil de saveurs sucrées et fruitées (entre autres zeste d’orange, clou de girofle, raisin sec, abricot, prune, vanille et réglisse noire) complété par une finale épicée de seigle.
Pour ma part, si plutôt que les mots pour vous parler de ce nectar, j’avais été habile avec des pinceaux, j’aurais choisi des palettes de violet, de vert et d’or pour représenter le paysage qui se dessine devant mes yeux quand, sur mon palais, comme Baudelaire l’exprime si bien dans Correspondances : « dans une ténébreuse et profonde unité, vaste comme la nuit et comme la clarté, les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Pour terminer, vous l’aurez compris, j’adore ce cocktail! Ses origines floues, plurielles et métissées, en fait très « Louisiane » puisque il est un mélange très réussi d’influences françaises et américaines, laissent libre cours à mon imagination et à de futures histoires à écrire… Ne soyez donc pas surpris si vous voyez bientôt surgir sous ma plume un personnage coloré qui, selon qu’il sera français ou américain et chauvin ou pas, se concoctera un Sazerac en y ajoutant cognac ou whisky, ou pourquoi pas, les deux en même temps tant qu’il respecte l’équilibre des deux onces d’alcool de la recette!
Alors la recette?
Comme le pâté à la viande ou tout autre cipaille au Québec, vous l’avez compris la recette exacte pour préparer un Sazerac diffère d’un endroit à l’autre. Cependant, Stanley Clisby Arthur dans son livre publié en 1938, Famous New Orleans Drinks and How to Mix ‘Em, a codifié une liste standardisée d’ingrédients essentiels : 1 sucre en morceau, quelques traits d’amer aromatique Peychaud’s et Angostura, du whisky de seigle, un rinçage à l’absinthe, 1 tranche de zeste de citron pour en exprimer les huiles. Le Peychaud donne au Sazerac une jolie couleur rose rougeâtre. Il souligne également l’anis de l’absinthe, avec une connotation « tutti-frutti ».
En surfant sur le net, j’ai trouvé des recettes qui présentent un autre ingrédient secret, à savoir une demi-cuillère à café de liqueur de marasquin. Pour ma part, n’étant pas trop puriste et plutôt créative, je me suis amusée à remplacer le cognac et le whisky par du Rhum Ste-Marie dont les notes de fruits confits, la touche subtile de vanille et la finale gourmande et chaleureuse de poivre et d’épices se marient bien avec les autres saveurs du cocktail. Vous pourriez aussi ne pas jeter l’absinthe après le rinçage pour garder la saveur de l’absinthe en arrière-plan. Enfin, au lieu de mettre un sirop de sucre, un sirop de framboise pourrait se combiner à merveille avec l’absinthe, le Peychaud et le citron.
Dans un verre à mélange, déposez un morceau de sucre ou versez ¼ once de sirop simple.
Ajoutez 4 traits de Peychaud’s bitter et 1 trait d’Angostura
Écrasez le sucre s’il y a lieu.
Ajoutez beaucoup de glaçons et versez 2 onces de rye whisky
Remuez, filtrez et versez dans un verre Old fashioned bien refroidi et rincé avec de l’absinthe.
C’est un cocktail à remuer et non à secouer. Le verre aura été préalablement refroidi avec des glaçons qui sont ensuite jetés. N’utilisez jamais de la glace dans le cocktail lui-même. Bien refroidir le verre permettra à l’absinthe de l’enrober magnifiquement.
Exprimez les huiles d’un zeste de citron sans le déposer dans le verre.
Frottez le zeste de citron autour du bord du verre.
Décorez de zeste de citron et dégustez.
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Harlem Roulette — Bourbon, Rye, Aperol, Peychaud’s Bitters, Liqueur de marasquin, Bitters, Absinthe, Sirop de miel, Zeste d’orange, Zeste de citron
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Hoping for a life more sweeter Instead I’m just a story repeating…
Sweeter – Leon Bridges
Et toi, tu dors
Du sommeil du juste
Tranquille et lisse
Pourquoi en serait-il autrement
D’ailleurs
Pourquoi troubler ton souffle si doux
Pourquoi t’alarmer
Pourquoi
Pour quoi
Tu es si jeune.
Moi, j’ai les yeux qui roulent
Sur la peinture défraîchie du plafond
Attendant l’aube
De désirs en délires
Avec l’envie rêveuse et vorace
Avec l’esprit tranchant comme un glaive
Avec l’espoir d’un jour nouveau
« Notre base n’est pas fixe; (…) Je vois un passé en ruines et un avenir en germe, l’un est trop vieux, l’autre est trop jeune, tout est brouillé. Mais c’est ne pas comprendre le crépuscule. »
Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850
« Si tu veux voir l’infini, ferme les yeux. »
Milan Kundera, Le Voyeur absolu, 1992
« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »
Jacques Lacan, Séminaire XII, 1964.
C’est pour toi.
Un morceau de lave, ramassé dans la dernière colère du volcan, symbole du sentiment qui brûle tout en ce pays de contraste et de passion comme le feu qui a détruit mon coeur.
Je t’en veux.
J’ai le goût de taper dans un sac de sable jusqu’à ce que mes jointures éclatent, qu’elles me fassent si mal que j’en crie de douleur pour ne plus sentir celle qui est là, tapie dans ma poitrine, qui brûle et qui ravage.
J’aurais le goût que tout s’arrête enfin car rien ne change. Rien, malgré le ciel bleu, la douceur du printemps qui s’installe et les mantras positifs.
Je suis prise de vertiges. Pourtant, je suis couchée. Sentiment de panique si intense que je n’ose plus bouger. Le temps s’étire… Mon corps a la raideur d’un gisant. Dans ma tête, c’est le chahut : les questions fusent sans répit, cherchant des réponses, en vain. Elles s’agitent, se bousculent.
Pourquoi t’es pas parti, toi? Pourquoi tu voulais rester, dis-moi! Pourquoi tu t’en vas pas?Pourquoi t’as tout accepté? Pourquoi t’as jamais dit non, jamais dit ça suffit, jamais dit stop!Pourquoi tu m’as laissé sombrer? Chaque jour, plus profond. Chaque jour, un peu plus.Pourquoi t’as rien fait pour empêcher ça?Pourquoi tu mens encore?Pourquoi t’as été lâche à ce point?Pourquoi tu continues de l’être?
En Sicile, les collines sont vertes et luxuriantes, embaument le parfum des citrons, des lauriers roses, bougainvilliers et magnolias blancs. Surprenant pour une île qui ne connaît que vingt-deux jours de pluie par an, cette eau rationnée quotidiennement et si rare que, comme elle leur est envoyée du ciel, les Siciliens l’ont surnommée l’eau bénite.
Revenir à moi. Retourner au jardin. Trouver mon fauteuil, le vieux fauteuil Adirondack rouge, près de l’étang et du parterre de vivaces. M’y asseoir. Fermer les yeux. Respirer.
Le parfum de la menthe emplit tout à coup mes narines. Je me sens vivifiée, stimulée par cette odeur puissante qui s’épanouit dans l’air environnant.
Mon souffle s’étire, s’amplifie. Il crée de l’espace. Le calme s’installe.
Mon attention se porte sur le léger clapotis de l’eau, sur le vert profond des feuilles, sur la fraîcheur de l’air et les frissons qu’il procure sur ma peau. La respiration crée un mouvement dans mon corps; une nouvelle énergie circule. C’est doux et chaud. Mes muscles se détendent. À l’intérieur de moi, ça pétille même. Je souris.
J’ouvre les yeux. Tu es devant moi mais ton visage est flou comme dans un tableau impressionniste. Alors je m’amuse à explorer les frontières entre le visible et l’invisible : ce n’est plus le combat de l’ombre et de la lumière, mais l’encerclement des deux par l’indiscernable. Plus j’essaie de te voir, plus tu deviens vaporeux, intangible, imprécis, approximatif comme toutes les pensées qui me relient à toi deviennent légères, en attente de leur propre disparition. Les marges s’effrangent, les territoires deviennent évanescents. J’accepte la complexité et l’inachèvement. C’est l’heure entre chien et loup, le crépusculaire dont on ne sait jamais, même en l’éprouvant, s’il faut l’interpréter comme la fin d’un jour ou l’annonce d’une aurore.
Les effluves de menthe saturent l’air maintenant. La nuit est tombée, mes yeux ne distinguent plus rien : il est temps de rentrer.
“Qu’est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance croît, qu’une résistance est en voie d’être surmontée.”
Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 1888
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Il est 2h du matin. Je n’arrive plus à dormir. Ma nouvelle vie sans toi a commencé et j’ai peur. Je ne devrais pas mais je suis terrorisée. Je me suis levée, je suis allée dans le salon pour m’éloigner de toi, pour voir ce que ça me fait maintenant que c’est moi qui ai décidé de prendre du recul. Le silence est long et vide : il me semble si grand et moi, si petite…
J’ai froid, j’enfile un t-shirt; j’ai toujours froid, je tremble. Je tremble tellement fort que mon corps s’agite comme un malade atteint de Parkinson. Tous mes muscles sont contractés. Ça fait mal.
Respire, respire, une fois, deux fois, lentement; encore: une fois, deux fois. Compte jusqu’à 5. Encore, une fois, deux fois, jusqu’à ce que les tremblements s’apaisent et cessent.
Les larmes coulent. Je les laisse couler…
Le chien et le chat m’ont rejointe, ils sont intrigués. Je suis en petite boule sur le divan. Mes bras enlacent mes jambes en position fœtale. Repli. Refuge. Attente.
Tu y es presque. Reste ainsi jusqu’à ce que ton souffle circule librement de la pointe de tes cheveux jusqu’au bout de tes orteils tranquillement, patiemment, qu’il réchauffe chacune de tes cellules, qu’il t’anime.
Le silence se remplit des ronrons du chat et des soupirs du chien. C’est vivant. Je suis plus calme, je respire mieux.
Je suis revenue m’allonger à tes côtés sans te toucher. Le drap trace une frontière entre nous. Pendant un moment, je n’entends plus ta respiration. C’est bizarre : il y a pourtant ton corps sur le matelas de l’autre côté du drap. J’avance mes doigts pour toucher ta peau, elle est fraîche. Tu es bien là. Tu y seras jusqu’à dans quelques heures, jusqu’à ce dernier câlin qu’on se donnera comme un au revoir.
Ça me fait du bien de n’entendre que ma respiration. Je me grise de cet air qui rentre dans mes poumons, que je fais descendre dans mon ventre, dans mon sexe, dans mes jambes, que je dirige où je veux désormais. Je suis le pilote. Je choisis ma destination. Vertige.
Le chat a sauté sur le lit. Il s’est installé sur tes jambes. On n’entend plus que son ronronnement régulier, doux et affectueux. Il choisit toujours son humain. Cette nuit, il t’a choisi, toi. C’est sa façon de te dire qu’il s’en remet à toi durant son sommeil, que tu lui procures de la sécurité quand il est dans son état le plus vulnérable. Ça me rassure. S’il t’a choisi, je lui fais confiance : les animaux ne se trompent pas.
«Tu ne dors pas?»
C’est la petite fille en moi avec sa voix de 4 ans qui t’a répondu : « Non » Un non timide et inquiet. Et elle s’est blottie dans tes bras. Elle a encore peur. C’est normal, c’est nouveau.
Il est 3 heures. Je ferme les yeux. Dans mes oreilles, comme un bruissement singulier, on dirait des piaillements d’oiseaux… non plutôt la stridulation des criquets. Ils chantent, fort! La mer apparaît d’un coup. Les odeurs de la pinède emplissent mes narines. Le soleil caresse ma peau. Je suis bien.