Il y a des mots qu’il ne faut pas dire

14 décembre 2024

« Le sexe et l’esclavage sont des partenaires naturels dans un monde forgé par l’homme. En Asie, ils sont absolument inséparables. Les femmes esclaves sexuelles sont un produit intrinsèque de la domination masculine dans les sociétés asiatiques. Ils participent à un jeu vicieux que les hommes jouent avec les femmes. Elles sont les abusées, les stigmatisées, et le poids amer des valeurs asiatiques. Et elles ne peuvent pas, toujours, continuer à vivre et à mourir en silence »

Brown, 2000 : 255.

À chaque instant, des mots sont prononcés, échangés, laissés à la dérive sur les vagues de l’indifférence. Mais il y a des mots qu’il ne faut pas laisser dire. Parce que ces mots banalisent l’innommable ou, pire encore, l’érigent en spectacle.

Pattaya, Thaïlande – Des filles brandissent des panneaux pour annoncer leur bar dans Pattaya Walking Street.

Lorsque j’ai lu ce matin, sous une publication qui évoquait l’exploitation de jeunes femmes dans le tourisme sexuel en Thaïlande, des phrases comme : « Au shit, j’en veux deux » ou « 6000 baht, négociable lol », ou encore «Il y avait-il un spécial quoi!!1», mon souffle s’est coupé. Ces mots ne sont pas de l’humour. Ce sont des poignards. Des éclats de cette masculinité toxique qui étouffe, réduit, et déshumanise. Des mots pernicieux, qui s’insinuent dans les esprits comme un ver d’oreille, contaminant les perceptions jusqu’à distordre toute humanité. Et que dire des émojis qui les accompagnent? Pas un pour exprimer de la compassion ou de l’empathie ou de l’indignation?  Non… juste ça : 🤣🤪😂

Je suis une femme. J’ai une voix, et je choisis de m’en servir.

Ces mots, apparemment anodins pour ceux qui les ont prononcés, dénigrent pourtant une vérité bien sombre : ils révèlent un système où l’on juge normal, voire plutôt économiquement intéressant – que ce soit pour une clientèle internationale ou pour des élus locaux2 – d’acheter des corps. À ceux qui se cachent derrière le masque du cynisme ou du « second degré », je pose cette question : à quel moment la misère humaine est-elle devenue une transaction comique ? À quel moment, un humain peut-il servir de monnaie d’échange? Qui peut se permettre d’utiliser le mot « opportunité » pour décrire une vie telle que celle qui attend ces femmes fuyant la pauvreté de leurs villages du Nord et qui se retrouvent par milliers dans les quelque 60 000 bordels 3 de Pattaya 4, de Chiang Mai, de Bangkok ou d’ailleurs? Dans pratiquement toutes les villes touristiques de Thaïlande, il y a des quartiers ou des rues dédiés à la prostitution pour les touristes locaux ou internationaux. Personne ne se cache puisque, même si la prostitution est illégale, elle est tolérée. Bienvenue donc au pays du sourire où, institutionnalisée dès la fin du XVIIème siècle par le pouvoir, en raison des revenus qu’elle procurait, la prostitution n’a cessé de croitre après la guerre de Corée et du Vietnam, pendant les années 1950 – 1960. De nos jours, même si des mesures gouvernementales existent, elles sont souvent insuffisantes ou contournées, ce qui rend difficile une lutte efficace contre ce fléau. Et puis, ce business rapporte tellement d’argent : presque 15% du PIB… sans compter que la corruption reste un obstacle majeur, entravant les efforts pour faire respecter la législation5.

Alors, non, la prostitution n’est pas un choix parce que, lorsqu’on a le choix, on a des alternatives. Ces jeunes femmes que vous voyez derrière des vitrines ou dans des rues éclairées de néons ne sont pas là parce qu’elles ont d’autres options. Elles sont là parce qu’elles n’ont aucune autre voie. La pauvreté, les disparités économiques et le patriarcat les ont emprisonnées dans ce rôle que certains, confortablement installés dans leurs privilèges, osent appeler « stratégie de vie » alors qu’il s’agit du miroir cruel de nos sociétés inégalitaires. 

Ce matin, on m’a fermement intimée de me taire en me disant que ce n’était pas mon combat. Je cite « Et tu devrais laisser ce combat à celles à qui ça concerne. Le combat que tu fais plutôt c’est la castration de la masculinité pour remplacer la virilité par des transgenres ou des hommes sans testo mais bon score de crédit des jeunes totalement bloqués deviants sur la pornographie qui ont peur de la femme et pour finir tout ça qui se maquille parce que dans nos pays l’homme est devenu le mec qui a totalement oublié la virilité. Donc je vais terminer ça par: il faut voyager un peu dans la vie pour aller voir autre chose et voir qu’il y a des endroits sur terre où l’homme est resté homme c’est comme ça. Ton combat pour féminiser l’homme ça fonctionne pas ici.6 »

Comment ne pas être sidérée devant ce ramassis de préjugés, de biais, d’amalgames enracinés dans une vision rétrograde des genres qui montre une incompréhension totale de ce qu’est la masculinité et des enjeux réels autour des luttes féministes et de la justice sociale? Mais quelle arrogance! Mais quelle bassesse! Les luttes pour les droits humains concernent tout le monde! Dire que je ne devrais pas m’impliquer parce que cela concerne d’autres femmes ou que cela se passe bien loin de Montréal est une tentative de détourner l’attention des vrais problèmes. Ce genre de logique revient à laisser les injustices perdurer sous prétexte qu’elles ne nous affectent pas directement. Si on attend que les seuls concernés agissent, rien ne changera jamais! En tout cas, en fermant ma gueule, je donne raison à ces épais qui aimeraient certainement mieux me voir récurer des casseroles que de leur tenir tête. Non. Ce n’est pas à ces femmes de Phuket de se battre seules. C’est à nous tous et à nous toutes de nous indigner. Parce que l’humanité se mesure dans la manière dont nous traitons les plus vulnérables.

« Castrer » la masculinité? Mais personne ne veut ça! Ce que je dénonce, c’est la masculinité toxique : celle qui légitime la violence, l’exploitation et la domination comme des éléments NATURELS du comportement masculin. Une masculinité saine ne repose pas sur l’assujettissement des femmes ou sur la peur de leur émancipation. Confondre virilité avec domination, c’est précisément ce qui affaiblit les hommes, pas les luttes pour l’égalité. De plus, la virilité d’un homme ne disparaît pas parce que d’autres choisissent de l’exprimer différemment. Voilà un discours qui révèle une peur irrationnelle face à la diversité des genres et des identités, face à ce qui dérange, face à ce qui remet en question les certitudes de certains sur ce que doit être un « homme », un vrai…

À l’argument final «voyager pour voir ce qu’est un vrai homme », je réplique ceci : voyager, c’est s’ouvrir à d’autres cultures, apprendre l’empathie et comprendre les réalités des autres, pas chercher à justifier l’injustifiable sous prétexte d’authenticité culturelle. Les vrais voyages transforment l’esprit, pas la dignité d’autrui en marchandise!

Enfin, est-ce que je mélange des combats? Est-ce que la masculinité et la prostitution n’ont rien à voir? Mais justement, tout est lié. Ces discours qui banalisent l’achat d’un corps féminin participent à cette culture où les femmes sont des objets. Une culture où la virilité se mesure au pouvoir d’achat, même celui d’acheter une vie. Une culture où l’on ne voit dans les femmes ni des êtres humains, ni des aspirations, ni des douleurs, mais un gros paquet de piasses sonnantes et trébuchantes $$$$$.

Nous devons changer cette culture. Nous devons poser des mots qui élèvent au lieu d’abaisser, des mots qui révèlent la vérité au lieu de la dissimuler derrière des émojis.

Il y a des mots qu’il ne faut pas dire. Et il y a des silences qu’il faut refuser de garder. Aujourd’hui, je prends la parole et je refuse de me taire pour que le silence ne soit plus complice et que mes mots réparent ce que d’autres ont détruit.

Whores’ Glory (2011) | Trailer | Emma | Ning | Toh | Michael Glawogger

Des associations oeuvrent en Thaïlande pour venir en aide aux travailleuses du sexe et soutenirleur réinsertion professionnelle. L’une d’entre elles est le Tamar Center.


Bibliographie

1Transcription exacte des propos. Les auteurs de ces propos ont un niveau d’orthographe aussi élevé que leur niveau d’empathie.

2 https://www.ledevoir.com/monde/asie/502092/des-filles-pour-dessert-tradition-bien-ancree-en-thailande

3 Le tourisme sexuel en Thaïlande, Une prostitution entre misère et mondialisation

4 C’est la capitale mondiale non officielle du tourisme sexuel. Plus de 12 millions de touristes visitent Pattaya chaque année. La principale raison qui pousse la plupart des gens à venir est la vie nocturne de la ville.

5 https://redtac.org/asiedusudest/2022/11/30/la-thailande-un-etat-proxenete/

6 Transcription exacte des propos. Si vous avez de la misère à comprendre, c’est normal vu la qualité du discours.

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La mauvaise réputation

19 avril 2024
Image générée par Copilot.



Il y a bien longtemps, au temps où les animaux et les humains se parlaient encore en se comprenant, dans un pays où le chocolat ne fondait pas sous les rayons du soleil et où les sorcières cohabitaient avec les fées sans qu’aucune d’entre elles ne soient plus aimées que les autres, jadis donc, il y avait une vieille bonne femme qui vivait seule à l’orée d’un bois, en toute quiétude. Elle était comme toutes les vieilles dames de son âge : un petit chignon blanc, un beau visage ridé, une voix fluette et douce. Les hideuses sorcières au nez crochu et chapeau pointu n’avaient été inventées que pour faire peur aux enfants malicieux. En fait, les sorcières n’avaient rien de particulier, hormis leurs pouvoirs magiques qu’elles n’utilisaient qu’en cas d’extrême urgence. Cette sympathique mémé avait été, du temps de sa jeunesse, une artiste réputée que les rois du monde entier s’arrachaient pour ses talents : tous voulaient qu’elle leur peigne le portrait, un paysage de leur royaume ou encore une nature morte. Bref, elle était une véritable célébrité. Cependant, lasse de toutes ces mondanités, elle avait pris sa retraite et elle s’était construit dans une jolie clairière une demeure coquette où elle vivait paisiblement, profitant des joies du jardinage et se réjouissant de la beauté des couchers de soleil. Ses pouvoirs de magicienne lui avaient permis toutes sortes de fantaisies et elle ne s’était pas privée de les exploiter : ainsi, les murs de sa maison étaient en pain d’épice, recouverts d’une ganache de chocolat appétissante; les montants des fenêtres en pâte sablée délicatement aromatisée à la fleur d’oranger; les tuiles du toit en meringue croquante; la cheminée en pâte d’amande; les boutons des portes et des fenêtres des dragées de sucre colorées.

Elle aurait terminé sa vie à l’écart du monde et de ses tyrannies ainsi, mais, même dans les contes, le mal sournois guette et attaque les plus gentils sans merci. Il se présenta à sa porte un après-midi qu’elle était allée visiter sa sœur alitée à cause de ses rhumatismes. En effet, les sorcières ne sont pas à l’abri de l’arthrite et les conteurs sont de fieffés menteurs quand ils vous affirment que les sorcières sont toutes puissantes et qu’elles ne vieillissent pas ! Deux jeunes enfants, tout mignons, tout proprets, l’air gentil et suave, se promenant dans la forêt, découvrirent la maison de Martha, c’était le nom de la sorcière. Ce furent des Oh! puis des Ah! de surprise, de convoitise puis de gourmandise qui fusèrent dans les airs quand les deux bambins s’aperçurent que la maison était à croquer ! Et ils la croquèrent ! Un morceau de porte par ci, un bout de fenêtre par là, tant et si bien que la maison avait piètre mine une fois que les gourmands l’eurent dégustée à satiété. Elle ressemblait à un morceau de gruyère attaquée par une armée de souris ! C’est donc le ventre plein que les enfants retournèrent au village, le visage barbouillé de chocolat et de sucre, bien contents de leur trouvaille et se promettant d’y revenir à chaque petit creux.

Martha revenait sans se presser, profitant de la douceur de cette soirée estivale. Elle chantonnait un air entraînant qui s’étrangla dans sa gorge quand elle constata les ravages commis par les deux morfales. «Saperlipopette ! Ventre St-Gris ! Par la magie de Belzébuth ! Qui a osé dévorer ma maison ? » s’écria-t-elle, offensée par un tel sans-gêne. «Si je trouve le sacripant, que dis-je, le criminel qui s’en est pris à ma maison, je ne donne pas cher de sa peau ! Il finira dans un grand chaudron à bouillir jusqu’à la fin des temps !» En moins de minutes qu’il ne faut pour le dire, prononçant quelques formules magiques et fulminant de rage, elle remit sa maison en état et eut bien de la misère à trouver le sommeil, cauchemardant à souhait que des pies, des ours, des… des je ne sais quoi… attaquaient sa maison à grands coups de fourchette. Pour se calmer, elle se versa un bon verre de lait chaud qu’elle accompagna de sa friandise préférée et réussit enfin à sombrer dans les bras de Morphée.

Le lendemain, elle se leva de bonne humeur, ayant presque oublié l’outrage qu’elle avait subi la veille. Elle ne s’en souvint qu’au moment où elle barrait la porte : elle devait animer un congrès de sorcières dans la forêt voisine, mais elle ne pouvait se désister. C’est le cœur lourd et plein d’angoisse qu’elle s’éloigna de sa maison chérie, espérant de toutes ses forces que personne ne viendrait de nouveau la manger. C’était croire que le destin épargne les justes, mais il ne les épargne jamais ! Ainsi va la vie, même pour les sorcières !

Les enfants de leur côté avaient fait sensation auprès de leurs amis en revenant au village. Leurs minois couverts de chocolat avaient suscité la convoitise de leurs camarades qui les avaient questionnés. Hansel, excité par la surdose de sucre, avait débité : « On a trouvé quelque chose d’extraordinaire ! Une maison en chocolat derrière l’étang aux grenouilles. Une maison toute en sucre, en guimauves, en caramel. Des tonnes de bonbons ! Croyez-nous, c’est fantastique. Les pâtisseries meilleures que celles de vos mères ! Un vrai délice pour le palais… Vous devez venir avec nous demain, on va se régaler. Je vous jure, mes amis, vous n’en croirez pas vos papilles : imaginez…

Et il avait raconté : « Ma sœur et moi, nous étions allés dans la forêt pour ramasser des champignons. ça ne nous tentait pas, mais bon vu que notre mère voulait faire une omelette aux cèpes, fallait bien en trouver ! On venait de trouver des chanterelles à l’orée du bois quand Gretel m’a tiré par la manche.
– Regarde, Hansel. Regarde la maison. Elle a l’air en chocolat…
– Vous connaissez ma sœur, toujours prête à inventer des histoires ! Je me suis dit : Bon, ça y est, la petite divague ! Je me suis retourné pour la réprimander et là, je suis resté bouche-bée : il y avait bien à quelques pas une maison en chocolat, couverte de friandises… Je me suis pincé pour être sûr que je ne rêvais pas. J’ai fermé les yeux, et quand je les ai rouverts, la maison était encore là, encore plus appétissante qu’auparavant. Alors, on a lâché nos paniers de champignons et on s’est empiffré de toutes ces douceurs.»

Un gamin avait interrompu Hansel dans sa frénésie oratoire : « N’importe quoi ! Une maison en chocolat, tu nous prends pour des imbéciles. C’est toujours pareil avec toi, Hansel, faut tout le temps que t’inventes des histoires pour te rendre intéressant. Allez, laisse-nous tranquilles, t’es qu’un menteur. Tu sais même pas qui habite là.

– Oui, je le sais ! C’est une sorcière, une vraie sorcière, laide, même… horrible, avec un long nez crochu et un chapeau pointu. C’est elle qui habite là. Elle a construit cette maison pour attirer les enfants et les transformer en petits biscuits, mais nous, on a été plus rusés qu’elle. J’ai dit à ma petite sœur : Ouvre tranquillement la porte, moi, je prends cette bûche de bois et BING, pendant qu’elle dormait, on l’a assommée et on l’a enfournée dans la cheminée. Après, brioches à la cannelle, petits fours à la confiture. Ah ! Ah ! Je vois vos yeux qui brillent, vos babines qui salivent, j’entends vos estomacs qui gargouillent… Croyez-moi, croyez-moi pas ! Moi, en tout cas, j’y retourne demain, je suis attendu pour le goûter. »

Alors, pendant que Martha quittait à regret sa chère demeure, une horde d’enfants affamés se ruaient à travers bois pour le festin de leur vie ! En quelques heures à peine, ils anéantirent les murs, le mobilier. Bref, rien ne subsista à leur frénésie vorace : les oiseaux eurent à peine quelques miettes à picorer après leur passage.

Illustration générée par Copilot.


– Je vous l’avais dit que je mentais pas, claironnait Hansel, fier comme un paon, sacré chef de bande pour l’occasion. Admettez- le, c’était excellent. Mais motus et bouche cousue, jamais personne ne doit savoir ce que nous avons fait là ! On ne sait jamais… »


Hansel savait bien qu’il avait menti en affirmant que la sorcière était morte, il ne savait d’ailleurs même pas si la maison appartenait à une sorcière, mais il savait qu’il était coupable de trois graves péchés : le mensonge, la gourmandise et la destruction du bien d’autrui.

Quelle ne fut pas la consternation de Martha à son retour ! La clairière vide ! Plus de maison ! Son jardin saccagé ! Son verger pillé ! C’en était plus qu’une sorcière normalement constituée pouvait accepter ! Il fallait qu’elle trouve les coupables, et vite ! Elle fit le tour des dégâts et aperçut des traces de pas dans la terre fraîchement retournée du jardin : « Des enfants ! Ce sont des enfants… qui ont dévasté ma maison ! » Elle les avait reconnus à la petitesse des empreintes. Elle décida que le crime méritait d’être puni sur le champ. Elle ne traversa pas la forêt sur son balai volant comme les méchantes sorcières le font habituellement dans les contes, mais elle reconstruisit sa maison et attendit, cachée en haut d’un grand marronnier, que les enfants reviennent, car elle était persuadée qu’ayant goûté une fois à ses délices gastronomiques, ils seraient incapables de résister à la tentation. Pour être sûre qu’ils reviennent, elle fit se répandre une odeur alléchante d’orange confite et de chocolat qui, poussée jusqu’au village, ne manqua pas d’attirer, le nez en l’air, la troupe de chenapans scélérats. Elle attendit encore qu’ils soient bien repus et trop lourds pour courir, alors elle surgit devant eux et, roulant des yeux comme seules les sorcières savent le faire pour terrifier leur public, elle prononça une formule magique qui, instantanément, les transforma en petites figurines de sucre qu’elle s’amusa ensuite à disposer comme une ribambelle joyeuse d’un goût charmant pour décorer le dessus de son foyer.

Les villageois se lamentèrent de la disparition de leurs enfants. Personne ne comprit leur départ soudain; personne n’alla explorer les confins de la forêt pour y trouver la clairière de Martha, qui y finit ses jours bien paisiblement. Cependant, aujourd’hui, alors qu’on m’interrogeait sur les origines de mes talents de décoratrice, je me suis souvenue de mon aïeule. Si le nom des Stewart est bien connu, c’est un peu grâce à elle ! Les frères Grimm commirent une bien grande injustice : ils racontèrent à qui veut bien l’entendre, et aux petits surtout, que mon ancêtre était une odieuse sorcière, qu’elle engraissait les enfants pour mieux les faire rôtir, qu’Hansel et Gretel étaient gentils, doux et bons. Vous savez maintenant qu’il n’y pas une once de vérité dans leurs galimatias. N’empêche que la réputation de Martha a bien souffert de ces racontars et voilà pourquoi, moi qui porte son prénom, je m’efforce chaque jour à ma manière d’embellir la vie de mes semblables.

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Cela ne peut pas être tout ce qu’il y a

16 août 2023

À Jonathan

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Souffle brusque du vent indocile

Qui n’en fait qu’à sa tête

Acrobates patientes ou esclaves serviles, les herbes courbent l’échine

S’agitent et s’affolent sans répit 

Dans une danse qui s’affranchît du tempo

Une horde hirsute et indisciplinée assaille mon visage où s’enferme mon regard 

Moi, debout sur la rive, je m’enracine

Mes deux pieds plantés en X

Je suis là 

Le coeur dynamité

Les pensées qui s’arrachent comme un Boeing dans le ciel

Les cris ravalés plus profond que ma gorge

Dans mon ventre où je voudrais qu’ils s’abîment
Une ambulance passe

Sirènes hurlant et gyrophares clignotant

Mais la douleur occupe mes oreilles 

Il en faudrait cent mille pour remplir le silence

Serait-ce assez pour braver le vide?
Je suis insensible 

Aux froufrous des feuilles

A la lumière du fleuve 

A la chaleur du soleil

Au bonheur des passants
Cette chienne, la salope jubile

La mort m’a prise par surprise.

Lié à: le roc d'enfer.

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For love I come

15 juillet 2023

I was waiting for so long for you to come pick me up.

It’s leaving you that scares me.

C’est une nuit de juillet torride

L’air est humide et lourd

La chaleur colle à la peau

Sur l’écran au fond de la scène, un film

Où les images s’enchaînent, brouillées

Nostalgie d’un voyage passé

Où se fondent villages, paysages marins et gratte-ciels

Tout le monde trouve sa place ici à la croisée des chemins

Pourtant

Nous sommes là parmi la foule qui oscille et vibre

Ensemble mais seuls

Je cherche ton regard dans la pénombre

Une porte pour entrer dans ton monde

Cet inconnu familier où serpente mon esprit

Ma main cherche ta main, qui se dérobe

Fuir est facile dans la cité des miroirs

Où tout n’est que leurre, illusion et mirage

Sur les notes chargées de plomb que traversent des rythmes tranquilles

Je crie en silence pour ne pas entendre ma rage qui gronde jusqu’au bout de la souffrance

Mais le temps passe lentement.

Lié à: le col des contrebandiers.

J’étais. Je serai.

3 avril 2023

C’était un lundi comme les autres, un lundi d’avril, un lundi avec un ciel bleu et l’air un peu frais. C’était le 3 avril. Je marchais sur le trottoir, comme tous les matins, de la musique dans les oreilles, en riant des poissons du samedi. La pêche avait été bonne. La voix élégante et douce de Snoh Aalegra glissait de manière presque surnaturelle sur des airs délicats et froids. Elle racontait la confusion, la douleur, la rupture, la fin de quelque chose. Mais ce n’était pas que des refrains. Ce n’était pas que des histoires. J’aurais dû me méfier.

J’ai entendu son pas dans la pièce d’à côté. Ses talons claquaient sur le vieux plancher de bois. C’était dur et décidé. Pas comme d’habitude. Et puis, j’ai vu son visage, fermé, ses lèvres serrées. Une vague de tristesse et de colère qui entre avec lui dans la pièce. Il n’a pas encore prononcé un mot. Je sens sa douleur, vive mais contenue. Qu’est-ce qui se passe? Et puis une phrase qui sonne comme un glas, qui dit : c’est fini.

Je suis sidérée. Je ne vois plus, je n’entends plus, ma bouche est sèche, ma respiration courte : mon coeur se fige. Non! Ça ne se peut pas! Pas encore! Pas deux fois comme ça, sans crier gare. Je ne veux pas. Mon corps se tend pour éviter la chute. Si je naviguais en mer, ce serait le naufrage. Incapable de rester à flot, est-ce que je m’enfoncerais profondément, avalée par les vagues indifférentes?

Pourquoi? Ce mot résonne et frappe dans ma tête vide, ne trouvant aucune réponse. J’ai besoin qu’on m’explique. Mais la journée passe et je suis comme une orpheline, avec ce grand chagrin à garder comme un secret honteux. Je voudrais crier, pleurer,  taper pour faire sortir le doute, la colère et la peur. Mais je ne peux pas, pas maintenant, j’ai besoin de me protéger, j’ai un autre combat à mener, plus tard. 

Mon cerveau se barricade. Il ne sait plus où il est et ce qu’il fait. Mes mains tapotent machinalement sur le clavier. Chaque touche est un pavé auxquels mes doigts s’accrochent pour garder contact avec la réalité. 

Tu me demandes de temps en temps comment je vais. Je vais mal. Je ferme les yeux mais, quand je les rouvre, c’est tout noir. La descente continue. 

Vibrations dans ma poche. Je serai là à 17h qui s’affiche sur l’écran. Plus que quelques heures et il entrera dans ma maison. Il va peut-être crier ou me dire des mots durs et blessants. Il ne dira peut-être rien et ne me regardera même pas. Je ne sais pas ce que je crains le plus : sa violence ou son indifférence. 

Tout le monde pense que je suis forte et que je n’ai besoin de personne, mais moi je me sens comme une enfant perdue. Souvent. Dans ma tête tourne en boucle une question : « Qu’est-ce que ce sera quand le jour sera terminé? » 

L’heure est arrivée. Je suis prête, mais rien n’arrive. Je le sais qu’il le fait exprès. Je sens mon corps qui bout. Je sens mes mains qui tremblent. Et tout à coup comme si l’attente n’était pas assez cruelle, viennent les mots durs, les phrases assassines. Alors, dans mon esprit comme sur la platine tournent à en être étourdie ces mots : « Tout ce que tu as à faire, c’est de tenir le coup. Ton jour ne se transformera pas en nuit. C’est ton combat sacré. Tu es la guerrière, la puissante. » 

Il ne saura jamais que je me sentais faible quand il a traversé la pièce et a vidé le placard. Il ne saura jamais que, si je lui ai tourné le dos, c’était pour ne pas voir son visage, pour ne pas rester prise dans son regard comme dans un labyrinthe sans issue,  pour le sortir de ma tête à jamais, pour que ne subsiste aucune trace de ses yeux dans les miens. Effacés, les souvenirs.

Deux petites minutes, à peine. Le bruit des roulettes sur le plancher et puis la porte qui claque et puis, plus rien. Le silence. Fin!

Après, je suis sortie : j’avais besoin d’air. La Lune était bien ronde et lumineuse. Elle éclairait le chemin. Tout droit, par là : devant.

On a l’impression que tout s’effondre, qu’il n’y aura pas de lendemain, que l’imparfait est le seul temps qu’il nous reste pour parler de nous. J’étais…

Pourtant, une fin n’est une fin que jusqu’à ce que ce soit un début. 

J’étais. Je serai.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Amour en rade

27 décembre 2022

À Kennedy

[…] c’est la fin du début.

Kennedy – Différent

Mes rues sont pleines de rêves morts et d’étoiles écornées 

Poussés par le vent malin, certains trouvent encore la force de rouler 

Sur le sol, évitant les ornières, les faux pas ou les Passe ton tour

J’écoute le souffle du matin

Bruissement des mots du ciel quand mes pieds froissent les feuilles à terre

Un chemin s’ouvre : une lame de lumière fend l’onde mobile

Rien n’est sûr ici-bas

Même pas le pont qui relie les rives

Même pas les arbres dont les racines courent sur la grève 

Même pas ces feuilles immobiles en haut des érables

J’imagine leur chute

Lente descente programmée?

Comme nous

Qui a décidé que c’était terminé?

Sur la branche, il n’en restera bientôt qu’une

Résistance inutile 

Est-elle fière d’être la dernière ou pense-t-elle à décrocher?

Solitude amère

Qu’est-ce qui reste, après tout?

Je sais

Toi aussi 

Tout le monde

Qu’à travers l’épaisseur tremblante du brouillard 

Sans clé des songes, point de salut

Et puise l’amertume 

Oublie l’étincelle

La vie, l’espoir au creux des mots

Le sablier de mes nuits ne t’attendra plus.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Non-retour

14 juillet 2022

J’ai essayé d’établir le droit d’oser tout.

Paul Gauguin

Il suffirait de presque rien, peut-être 25 années de moins, pour qu’ils se disent « je t’aime ».

Adapté de Serge Reggiani

À Jonathan W. K.

45° 30′ 6.08″ N 73° 34′ 2.122″ W : Montréal.

37° 18′ N, 26° 44′ E : Lipsi.

Sur la carte qui s’affiche à l’écran, tel un aiguilleur du ciel, mon esprit a tracé entre ces deux points une ligne. La ligne survole un océan, un continent puis une autre mer. Elle est longue de 7843 km. À bien y regarder, ce n’est pas tout à fait une ligne, c’est plutôt une corde que je m’obstine à tendre entre nous deux. Une corde que je tiens fermement, l’agitant vigoureusement chaque jour pour que tu en ressentes les vibrations. Mais ces dernières si vives à l’origine s’atténuent jusqu’à mourir à leur arrivée car la corde est molle dans ta main et les mots qu’elles transportent ne sont plus que murmures inaudibles quand ils te parviennent. Tu ne les entends pas, pas plus d’ailleurs que lorsque seulement un vol d’oiseau nous sépare à Montréal. Que je sois si loin ou tout près, rien ne change et rien ne changera jamais. Ma raison le sait. Elle le sait tellement qu’elle en devient folle. Mon cœur, lui, espère. Il espère encore, animé par la foi ardente qui inspirait jadis les moines soldats. Qui est le plus fou?

Je suis sortie sur le pont avant du catamaran. Rapidement, l’île de Kos rapetisse pour n’être plus qu’une masse informe puis un minuscule point auquel le sillage blanc de l’écume laissée par les moteurs bruyants du bateau ne nous reliera bientôt plus. Les embruns salent mon visage et laissent des cristaux sur ma peau. Je dois lutter et m’agripper solidement à la rambarde pour rester debout.

Au loin, par delà l’horizon bleuté de la mer Égée, c’est la découpe escarpée d’îles sauvages et inhospitalières qui s’imprime dans ma rétine. Naturellement alors, comme invité par l’aridité du paysage, tu viens hanter mon esprit. D’abord, ton visage, impassible et grave où pas un muscle ne bouge, tel une forteresse imprenable, à l’épreuve de toute émotion, insensible aux baisers que mes lèvres, en quête d’un passage vers ton cœur, déposent sur ta bouche, sur ton nez, sur tes joues comme de petits cailloux blancs. Puis ton regard sérieux et sombre où seulement un léger clignement des paupières permet de te distinguer d’une statue de marbre.

Je ferme les yeux, pensant trouver une échappatoire, priant pour que ton visage et tes yeux disparaissent, mais en vain. C’est ton corps sculpté et ferme, fringant et superbe, qui vient m’obséder maintenant. Ma tête se charge d’images érotiques : tous ces souvenirs encore trop frais dans ma mémoire…. le désir qui naît au creux de mes reins quand tu t’approches de moi, le tremblement de mes cuisses qui sertissent tes hanches comme un joyau précieux quand on fait l’amour, la jouissance qui nous laisse sans voix, sans force, à la dérive à côté l’un de l’autre.

Îlots après îlots, le paysage défile devant mes yeux, monotone et terne tellement il se répète dans la succession des blocs de granit beige, parsemés de menus buissons et de broussailles indisciplinées. C’est seulement le contraste important de ces amas rocailleux avec les tonalités changeantes de la mer qui retient mon attention. Je prends quelques clichés, souvenirs de cette première traversée dans les îles du Dodécanèse. Sur les photos, singulièrement, l’iris de mes yeux s’est ajusté avec les bleus de l’onde, qui passent du turquoise au marine, pour se confondre avec eux. Mes oreilles s’imprègnent des sons ambiants : elles perçoivent le claquement des vagues sur la coque du bateau, le vrombissement des moteurs et les voix diffuses des passagers agglutinés sur le pont arrière. Pourtant, c’est le silence qui s’impose, ce silence que tu as toujours installé entre nous, long, profond comme un abîme qui engloutit tout, comme un linceul dont se parent mes mots pour un dernier voyage. Je ne m’y ferai jamais… J’ai besoin de vie, de mouvement, d’action. Pas de cette attente interminable. Pas de cette inertie semblable au trépas. J’ai besoin de réponses à mes questions, j’ai besoin d’entendre ta voix. Des vers de Baudelaire surgissent de ma mémoire…  Homme, toujours, tu chériras la mer. La mer est ton miroir. Tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer…

Le bateau s’est éloigné des côtes et la mer est noire maintenant. Mon esprit se laisse couler. Que vais-je trouver?

Des larmes creusent des rigoles sur mes joues salées. Je suis incapable de les contenir. Au même instant, la cicatrice sur mon sein gauche se réveille; la brûlure est intense. Je respire profondément tout en posant une main sur ma poitrine pour calmer la douleur. Peine perdue : la brûlure est si vive qu’elle me plie en deux et que j’en suffoque. Que se passe-t-il? Compter, occuper mon esprit; j’inspire. Compter, captiver mes pensées : un, deux, trois, quatre, cinq. J’expire. Recommencer : un, deux, trois, quatre, cinq. Encore une fois. Mes yeux glissent sur les flancs de l’île. Un, deux, trois, quatre, … et tout à coup, là, tapie dans la paroi abrupte de Kalymnos, la gueule d’un lion apparaît. Son regard perçant me fixe, implacable et dur. À sa gauche, les méandres de la végétation ont dessiné un cœur.

D’autres îlots arides, tous brûlés par le soleil, défilent ensuite devant mes yeux. Rien ne peut survivre ici. Rien. Le miracle de la vie et de l’amour ne peut être que l’affaire des Dieux.

Le bateau poursuit sa route vers Léros. La distance maintenant déforme le lion aperçu dans le flanc de la montagne. Cependant, cette vision a marqué mon esprit à tel point que je scrute désormais chaque parcelle de terre pour y déceler d’autres signes.

C’est en quittant Léros que je décrypte le message du lion. À la pointe de l’île que le catamaran croise à bâbord, c’est un visage qui surgit des amas de pierre, un visage prisonnier du roc à jamais. Je comprends alors que mon salut est là, dans la matière éternelle de chacune de ces îles : faire du grès solide et tenace ton tombeau, un labyrinthe dont aucune princesse ne t’aidera à sortir. Tu y seras prisonnier tant que mon cœur saignera, tant qu’il sera épris de toi, tant que ma mémoire sera capable de restituer parfaitement ton image. Il ne peut en être autrement : tu dois mourir pour que je survive.

Mon regard se perd dans les remous laissés par le navire. La blancheur de l’écume me rappelle Montréal, ses rues enneigées.  Je ferme les yeux… 

Il est tard, c’est encore l’hiver pour quelques semaines. Dehors, un mélange de grésil et de pluie rend les rues glissantes et la marche hasardeuse. Métro Snowdon, le quai est presque désert. Tu entends la rame qui approche. Tu as hâte de rentrer chez toi après cette nuit intense passée aux urgences du Jewish.

La station s’emplit tout à coup de la présence imposante des wagons sur les rails. Bruit sec des portes qui s’ouvrent, comme un coup de pistolet. Et tout à coup, nous, face à face comme dans un duel à Ok Corral. Nos regards qui se croisent, surpris de se trouver là. Nos regards qui hésitent, troublés, et puis qui s’élancent, s’attachent irrésistiblement jusqu’à se fondre l’un dans l’autre. Le temps n’existe plus. Le monde non plus. Il n’y a que nos yeux enlacés comme dans un tango langoureux, captifs du mystère qui les réunit, présents à chacun, avides et impatients de se découvrir, cherchant un apaisement à leurs douleurs et brisant enfin leurs solitudes.

Dans l’espace qui nous sépare encore, une toile invisible se tend entre nos regards, où des images s’enchaînent rapidement et nous emmènent loin de la grisaille de cette nuit de mars : collines verdoyantes, jardins luxuriants, savane africaine se mêlent sans aucun respect des conventions et composent un tableau coloré, incongru et fauve.

Mouvement mutuel de nos corps l’un vers l’autre : tu entres dans le wagon. Moi, j’ai un pied vers la sortie. Je fais un pas. Nos corps se frôlent. Deux pas. Je sens ton regard brûler ma nuque. Trois. Ralenti. Quatre. Je suis sur le quai. Cinq. Arrêt sur image. Et puis, juste avant que les portes ne se referment, je me retourne. Ton regard est toujours là… ma bouée. Alors, je m’élance pour m’y accrocher comme un naufragé dont c’est la dernière chance avant le trépas. J’y mets tellement de vie dans cet élan que je me trouve propulsée dans le wagon sans pouvoir m’arrêter. Tes bras s’ouvrent, ils m’évitent la chute. J’ai 20 ans, toi 23. Alice et Jonathan ont toute la vie devant eux pour s’aimer.

La corne du navire entrant au port me ramène brutalement à la réalité. Grésillement du disque sur la platine. Il déraille, se met à sauter. En fait, ça ne s’est pas du tout passé comme ça.

J’ouvre les yeux : Lipsi est là, devant moi, blanche et bleue, immaculée, lumineuse, idyllique. Dans quelques minutes, le bateau accostera. Pendant qu’il manoeuvre lentement vers le quai et que j’attends dans l’escalier qui mène au pont supérieur, je découvre sur une vieille carte les noms des îles de l’archipel : Kos, Leros, Pâtmos, Kalymnos, Karpathos, Symi, Rhodes, Tilos, Nissyros, Kastelorizo, Astypalée, Kassos, Chalki, Lipsi. Je les prononce lentement, enthousiaste et inspirée comme le ferait la pythie de Delphes avec les litanies d’un rite antique. Quatorze îles comme autant de sarcophages éternels où je scelle pour toujours une partie de ton corps. Lipsi, l’île de Calypso, la dernière de mon voyage, sera le tombeau de ton cœur.

Lié à: le roc d'enfer.

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Memory leaves

11 juillet 2022
La jeune à la perle. Dessin adapté de la toile de Vermeer (1665)

À Williams E. M.

« L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité. »

NietzscheLa Volonté de puissance

Cette nuit-là, il n’y avait pas de nuages dans le ciel du festival.
Et rien de ce qui a existé
N’existerait
Jamais plus.

Cette nuit-là, il y avait le jazz de Masego, la chaleur du saxophone et les cris des fans dans la foule.

Sous les spotlights, en avant de la scène,
Un point qui se détachait comme le ciel, l’eau, la mer, l’air ou l’espace.
Un petit point bleu turquoise,
Ma robe ample et mobile comme une invitation au voyage.
Ma robe bleu serein comme, lorsque, tranquille,
On est en partance pour des rêves par-delà les paupières 
Ou des illusions sans frontières.

Cette nuit-là, c’était l’été, on s’évaderait.
Cette nuit-là, je prierais Dieu, mais ce serait pour rien.
Pourtant, des roses pleuvraient bien du ciel.
Et des billets de 100$ venant d’un royaume qui n’existait pas me permettraient les fantaisies les plus folles. 

Pick-up : la batterie casse enfin le silence.
Puis clé sur clé, la mélodie remplit la salle.
Et enfin sa voix qui crève l’air
Et installe le groove
Pendant que tournent les loops, s’enchainent les couplets et les Da-Di-La-La des refrains.

J’ai fermé les yeux pour tout absorber sans limite.
Pendant des heures, j’ai chanté à tue-tête des ritournelles vives.
Battu le tempo en agitant le bras au-dessus des têtes.
Comme des milliers de hampes supportant les figures.

Avec la foule, j’ai chanté ces rimes qui parlaient de nous.
Mon corps a marqué la cadence suivant les variations de la gamme.

Mais en moi, toutes les cordes ont rompu.
Mes yeux ne savent plus déchiffrer la partition.
Mes mains sont incapables de jamer.

Mes pieds, toujours en retard d’une mesure.

Ad lib. 

Fill, Fla, Tadow.
C’est là que je t’ai vue.
En fait, plutôt lui que j’ai reconnu dans la foule bigarrée qui se ruait dehors. 

De toi, pour être précise, je n’ai aperçu qu’un turban et un visage.
Celui d’une autre plutôt, qui n’est ni toi ni l’autre.
Ce visage, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. 

Au milieu des corps portée par le rythme, toi, tu étais immobile,
Regardant droit devant
Fixant je ne sais quoi.

Ton visage impassible contrastait avec les sourires radieux.
Les lèvres serrées, étais-tu fâchée ou triste?
Tu avais l’air d’arriver d’un autre temps.
Une soie mauve, savamment enroulée sur ta chevelure qu’on devinait abondante sous le tissu mordoré. 

Dans cette agitation, alors que les mots jaillissaient tout autour,
Rebondissant sur les rondes et virevoltant sur les croches,
Anita, as-tu entendu le silence du battement de mon coeur?
Mon coeur qui a figé alors que ma main s’agitait.

Toi, ce n’était pas moi que tu regardais puisque moi, je n’étais pas là.
Non pas là.
Pas là du tout.
Pas même un petit peu.
Même pas le temps d’un silence, d’une blanche ou d’un soupir. 

Plus là pour lui qui te suivait.
Plus là pour lui qui m’ignorait.

Plus là pour lui qui fuyait mon salut.

Dans la lumière crue des néons, j’ai vu ta peau chromatique
Luisant comme le visage de la jeune fille de Depht,
Clair, lumineux, tendre et doux,
Anita, ton visage semblait éclairé de l’intérieur. 

Dis, Anita, étais-tu heureuse ou triste? 
Oh, Mon Anita, dis-moi, de quelle couleur sont tes yeux? 
Sont-ils marrons, verts ou bien bleus? 
Anita, Oh, dis-moi, ton café? Comment tu le bois?

Qui étais-tu?
Je pose la question pourtant je ne devrais pas : tu es si familière :
Petit portrait de 15 par 17.
Composition et couleurs très simples : du bleu, de l’ocre, du jaune.
Quelques traits, peu marqués, fondus : la ligne du nez, invisible.

On doit t’imaginer. 

Pourtant, sur la toile, il y a bien une jeune fille qui regarde par-dessus son épaule; elle est coiffée d’un turban exotique et porte une perle à l’oreille que frappe une source de lumière lointaine. 

Une jeune fille
Inquiète, intrigante, mystérieuse
Curieuse, jeune, perdue
Énigmatique, surprenante, volontaire

C’est un idéal sur un fond noir : symbole ambigu de pureté ou de vanité? 

Une jeune fille
Belle, désirable, sensuelle
Amoureuse, tendre, triste

Une jeune fille
Bonne, dévouée, douce
Lumineuse, passionnée, vive
Paisible, simple, vraie.

Pourtant, l’essentiel nous échappe toujours : regarder n’est pas voir…

LA SI DO, j’ai improvisé un solo.
Avant qu’arrive le sol, je me suis rattrapée, j’ai changé de ton jusqu’à la dernière note.

FA MI RÉ, c’est le dernier accord, plus une croche sur la portée.

LA SOL MI, le pont est franchi. 
Coupe le son.

La chanson est finie.

Memory leaves

Lié à: le col des contrebandiers.

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De saines habitudes de travail à la maison

8 janvier 2022

De saines habitudes de travail à la maison

Depuis mars 2020, bon nombre de personnes ont dû transporter leur bureau à la maison pour suivre les mesures sanitaires. Si au bureau, vous aviez une chaise et un bureau adaptés (c’est mon cas, j’ai entre autres un bureau ajustable en hauteur qui me permet de changer de positions dans la journée), ce n’est peut-être pas le cas à la maison. Bien que cette nouvelle façon de travailler apporte certains avantages (gain de temps notamment), on remarque aussi plusieurs impacts négatifs sur la santé. À ce titre, beaucoup de problèmes sont reliés aux postures : par exemple, des contractures, des douleurs dorsales et cervicales, ou encore dans les jambes ou les avant-bras. Bref, une mauvaise ergonomie en télétravail peut avoir de graves conséquences à long terme. L’utilisation d’un ordinateur portable représente aussi un défi parce que le clavier et l’écran sont indissociables, ce qui favorise l’adoption de mauvaises postures. Comment y remédier? Voici 3 conseils pour une meilleure vie en santé!

Conseil 1 : S’échauffer

Ça a l’air un peu saugrenu, mais faire un court échauffement d’environ 5 minutes est une excellente manière d’activer vos muscles en favorisant une bonne circulation sanguine, ce qui contribuera à prévenir certaines blessures.

Voir la routine d’échauffement en vidéo.

Conseil 2 : Adopter une bonne posture

  • écran à une distance minimale d’un bras de vos yeux
  • pieds complètement appuyés au sol
  • genoux , hanches et coudes avec un angle de 90 degrés
  • fesses bien au fond de la chaise
  • yeux alignés avec le haut de l’écran[1]
  • tête dans le prolongement de la colonne
Source de l’image : Commons Wikimedia

Que faire…?

Si vous utilisez un ordinateur portable et n’avez pas de clavier ni d’écran indépendants, assurez-vous de repousser votre portable sur la table pour appuyer au complet vos avant-bras sur la surface plane. Cela évitera les pressions localisées et supportera mieux les bras. Inclinez l’écran du portable vers l’arrière pour réduire l’inclinaison du cou. Enfin, n’utilisez votre portable que pendant de courtes périodes et prenez régulièrement des pauses.

Si vous devez travailler sur une chaise de cuisine, veillez à avoir un bon appui pour les pieds et supporter le bas du dos par exemple avec une serviette roulée. L’objectif est de maintenir le creux lombaire, comme le fait votre chaise de bureau. Vous devez aussi vérifier que les coudes sont bien à la hauteur de la table, ajoutez un coussin ou un oreiller pour surélever votre assise.

Conseil 3 : Changer de position

Variez régulièrement votre position en vous levant régulièrement.

Astuce : planifier une alarme sur votre téléphone chaque demi-heure pour bouger au moins 30 secondes : par exemple, une marche de 10 à 15 minutes, quelques étirements ou des exercices pour vos yeux feront l’affaire.

Des exercices d’étirement

Les règles à suivre : s’étirer régulièrement dans la journée en maintenant l’étirement un minimum de 15 secondes jusqu’à ressentir une tension musculaire mais aucune douleur en évitant tout mouvement brusque : c’est un étirement pas un concours d’élasticité 😉!

4 exemples d’exercices

  1. En position assise ou debout, lâcher les bras le long du corps puis rapprocher l’oreille de l’épaule. Revenir à la position neutre et ramener le coude vers l’épaule opposée.
  2. En positions assise, ramener les bras et les épaules vers l’arrière puis allonger les mains vers l’avant et arrondir le haut du dos.
  3. En position assise, les fesses sur le rebord de la chaise, allonger une jambe et incliner le tronc vers l’avant, en gardant le dos droit. Puis en position assise, les fesses au fond de la chaise, placer la cheville sur la cuisse opposée. Mettre une légère pression sur le genou en gardant le dos droit.
  4. Ramener la main vers le bas. Ramener le dos de la main vers l’avant-bras.

D’autres exercices sur le site de l’UQTR.

Réduire la fatigue oculaire

Chaque 20 minutes, fixez un point à 20 pieds de vous pendant 20 secondes. Cela vous gardera vigilant et contribuera à réduire la fatigue de vos yeux.

Veiller également l’éclairage : ne placez pas votre écran dos à la fenêtre : le contraste violent nuirait à la lisibilité. Évitez aussi de le placer face à une ouverture lumineuse : les reflets vous gêneraient. L’idéal est de placer l’affichage en angle droit avec la fenêtre. Pensez à régler la luminosité de l’écran pour éviter un trop fort contraste avec l’éclairage ambiant. Fermez les stores et les rideaux si le soleil inonde la pièce ou encore utilisez une lampe d’appoint dont l’abat-jour couvre l’ampoule complétement si l’éclairage n’est pas suffisant.

À ne pas faire

  • S’asseoir sur un tabouret : vous risquez d’avoir les pieds en position de pointes, ce qui va créer une tension;
  • Travailler avec le portable sur les genoux;
  • Rester assis trop longtemps sans bouger. 

Document sur l’ergonomie des postes de travail préparé par la CNESST 


[1] Cette solution impose une contrainte : l’emploi d’un clavier et d’une souris séparés, qui seront positionnés en dessous.

Lié à: le plateau de Beauregard.

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Je te laisserai des mots

9 octobre 2021

Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. […] Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.

L’avalée des avalés – Réjean Ducharme

Je suis allée vers la rivière. Il y avait là deux ou trois vieux qui pêchaient, la clope au bec et le visage heureux. Ils semblaient n’avoir rien pris pourtant, à moins qu’au bout de leurs lignes qui faisaient les mortes, ils aient ferré le temps qui passe.

J’ai marché un peu, longeant la rive jusqu’à une petite clairière. Le soleil était singulièrement chaud pour la date. Des feuilles tombaient ici et là, seul signe qu’on était déjà en octobre.

Mon regard ne s’attachait à rien, divaguant sans but et se laissant bercer par le mouvement calme de l’onde, qui frissonnait sous le souffle du vent. Dans mes oreilles, Spotify déversait les nouveautés musicales de la semaine sur lesquelles le clapotis de l’eau se greffait sans aucun égard pour le tempo.

A quelques pieds de la souche où je m’étais assise, un canard faisait sa toilette. Minutieusement, il picorait son plumage, se moquant bien de moi et de ma tristesse que je ne retenais plus.

Des promeneurs s’étaient approchés. Qu’importe! Ils pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, je m’en fichais. Moi, je n’étais déjà plus là. J’étais devant ta porte, ma main dans les airs, hésitante encore…

Trois petits coups secs qui résonnent gravement. Toc.Toc.Toc. Bruit de pas dans le couloir. Tu ouvres. Tu me souris : tu es content de me voir. Tu m’invites à entrer et tu m’ouvres grand tes bras. Tu me gardes un moment contre toi jusqu’à ce que le battement de mon cœur s’apaise, jusqu’à ce qu’il s’accorde tranquillement au rythme du tien.

J’ai besoin de te voir. Mes yeux cherchent les tiens. J’ai besoin d’une digue pour contenir le tumulte. J’ai besoin d’une bouée pour éviter la noyade. De sentir que là, avec toi, pour quelques heures, je suis en sécurité. A l’abri, protégée des tempêtes et du ressac des flots.

Une partie de moi s’affole puis se fige. J’ai peur. Si peur. Et tout à coup, sur mon coeur, la petite entaille laissée par le scalpel se resserre jusqu’à faire si mal que j’en pleure. C’est intolérable. Et si tu ne disais rien? Si tu me regardais l’air surpris ou peut-être même embêté? Si tu ne me comprenais pas? Si tu me jugeais?

Demain, je le saurai.

Lié à: le col des contrebandiers.

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