Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. […] Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.
L’avalée des avalés – Réjean Ducharme
Je suis allée vers la rivière. Il y avait là deux ou trois vieux qui pêchaient, la clope au bec et le visage heureux. Ils semblaient n’avoir rien pris pourtant, à moins qu’au bout de leurs lignes qui faisaient les mortes, ils aient ferré le temps qui passe.
J’ai marché un peu, longeant la rive jusqu’à une petite clairière. Le soleil était singulièrement chaud pour la date. Des feuilles tombaient ici et là, seul signe qu’on était déjà en octobre.
Mon regard ne s’attachait à rien, divaguant sans but et se laissant bercer par le mouvement calme de l’onde, qui frissonnait sous le souffle du vent. Dans mes oreilles, Spotify déversait les nouveautés musicales de la semaine sur lesquelles le clapotis de l’eau se greffait sans aucun égard pour le tempo.
A quelques pieds de la souche où je m’étais assise, un canard faisait sa toilette. Minutieusement, il picorait son plumage, se moquant bien de moi et de ma tristesse que je ne retenais plus.
Des promeneurs s’étaient approchés. Qu’importe! Ils pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, je m’en fichais. Moi, je n’étais déjà plus là. J’étais devant ta porte, ma main dans les airs, hésitante encore…
Trois petits coups secs qui résonnent gravement. Toc.Toc.Toc. Bruit de pas dans le couloir. Tu ouvres. Tu me souris : tu es content de me voir. Tu m’invites à entrer et tu m’ouvres grand tes bras. Tu me gardes un moment contre toi jusqu’à ce que le battement de mon cœur s’apaise, jusqu’à ce qu’il s’accorde tranquillement au rythme du tien.
J’ai besoin de te voir. Mes yeux cherchent les tiens. J’ai besoin d’une digue pour contenir le tumulte. J’ai besoin d’une bouée pour éviter la noyade. De sentir que là, avec toi, pour quelques heures, je suis en sécurité. A l’abri, protégée des tempêtes et du ressac des flots.
Une partie de moi s’affole puis se fige. J’ai peur. Si peur. Et tout à coup, sur mon coeur, la petite entaille laissée par le scalpel se resserre jusqu’à faire si mal que j’en pleure. C’est intolérable. Et si tu ne disais rien? Si tu me regardais l’air surpris ou peut-être même embêté? Si tu ne me comprenais pas? Si tu me jugeais?
Demain, je le saurai.