Memory leaves

11 juillet 2022
La jeune à la perle. Dessin adapté de la toile de Vermeer (1665)

À Williams E. M.

« L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité. »

NietzscheLa Volonté de puissance

Cette nuit-là, il n’y avait pas de nuages dans le ciel du festival.
Et rien de ce qui a existé
N’existerait
Jamais plus.

Cette nuit-là, il y avait le jazz de Masego, la chaleur du saxophone et les cris des fans dans la foule.

Sous les spotlights, en avant de la scène,
Un point qui se détachait comme le ciel, l’eau, la mer, l’air ou l’espace.
Un petit point bleu turquoise,
Ma robe ample et mobile comme une invitation au voyage.
Ma robe bleu serein comme, lorsque, tranquille,
On est en partance pour des rêves par-delà les paupières 
Ou des illusions sans frontières.

Cette nuit-là, c’était l’été, on s’évaderait.
Cette nuit-là, je prierais Dieu, mais ce serait pour rien.
Pourtant, des roses pleuvraient bien du ciel.
Et des billets de 100$ venant d’un royaume qui n’existait pas me permettraient les fantaisies les plus folles. 

Pick-up : la batterie casse enfin le silence.
Puis clé sur clé, la mélodie remplit la salle.
Et enfin sa voix qui crève l’air
Et installe le groove
Pendant que tournent les loops, s’enchainent les couplets et les Da-Di-La-La des refrains.

J’ai fermé les yeux pour tout absorber sans limite.
Pendant des heures, j’ai chanté à tue-tête des ritournelles vives.
Battu le tempo en agitant le bras au-dessus des têtes.
Comme des milliers de hampes supportant les figures.

Avec la foule, j’ai chanté ces rimes qui parlaient de nous.
Mon corps a marqué la cadence suivant les variations de la gamme.

Mais en moi, toutes les cordes ont rompu.
Mes yeux ne savent plus déchiffrer la partition.
Mes mains sont incapables de jamer.

Mes pieds, toujours en retard d’une mesure.

Ad lib. 

Fill, Fla, Tadow.
C’est là que je t’ai vue.
En fait, plutôt lui que j’ai reconnu dans la foule bigarrée qui se ruait dehors. 

De toi, pour être précise, je n’ai aperçu qu’un turban et un visage.
Celui d’une autre plutôt, qui n’est ni toi ni l’autre.
Ce visage, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. 

Au milieu des corps portée par le rythme, toi, tu étais immobile,
Regardant droit devant
Fixant je ne sais quoi.

Ton visage impassible contrastait avec les sourires radieux.
Les lèvres serrées, étais-tu fâchée ou triste?
Tu avais l’air d’arriver d’un autre temps.
Une soie mauve, savamment enroulée sur ta chevelure qu’on devinait abondante sous le tissu mordoré. 

Dans cette agitation, alors que les mots jaillissaient tout autour,
Rebondissant sur les rondes et virevoltant sur les croches,
Anita, as-tu entendu le silence du battement de mon coeur?
Mon coeur qui a figé alors que ma main s’agitait.

Toi, ce n’était pas moi que tu regardais puisque moi, je n’étais pas là.
Non pas là.
Pas là du tout.
Pas même un petit peu.
Même pas le temps d’un silence, d’une blanche ou d’un soupir. 

Plus là pour lui qui te suivait.
Plus là pour lui qui m’ignorait.

Plus là pour lui qui fuyait mon salut.

Dans la lumière crue des néons, j’ai vu ta peau chromatique
Luisant comme le visage de la jeune fille de Depht,
Clair, lumineux, tendre et doux,
Anita, ton visage semblait éclairé de l’intérieur. 

Dis, Anita, étais-tu heureuse ou triste? 
Oh, Mon Anita, dis-moi, de quelle couleur sont tes yeux? 
Sont-ils marrons, verts ou bien bleus? 
Anita, Oh, dis-moi, ton café? Comment tu le bois?

Qui étais-tu?
Je pose la question pourtant je ne devrais pas : tu es si familière :
Petit portrait de 15 par 17.
Composition et couleurs très simples : du bleu, de l’ocre, du jaune.
Quelques traits, peu marqués, fondus : la ligne du nez, invisible.

On doit t’imaginer. 

Pourtant, sur la toile, il y a bien une jeune fille qui regarde par-dessus son épaule; elle est coiffée d’un turban exotique et porte une perle à l’oreille que frappe une source de lumière lointaine. 

Une jeune fille
Inquiète, intrigante, mystérieuse
Curieuse, jeune, perdue
Énigmatique, surprenante, volontaire

C’est un idéal sur un fond noir : symbole ambigu de pureté ou de vanité? 

Une jeune fille
Belle, désirable, sensuelle
Amoureuse, tendre, triste

Une jeune fille
Bonne, dévouée, douce
Lumineuse, passionnée, vive
Paisible, simple, vraie.

Pourtant, l’essentiel nous échappe toujours : regarder n’est pas voir…

LA SI DO, j’ai improvisé un solo.
Avant qu’arrive le sol, je me suis rattrapée, j’ai changé de ton jusqu’à la dernière note.

FA MI RÉ, c’est le dernier accord, plus une croche sur la portée.

LA SOL MI, le pont est franchi. 
Coupe le son.

La chanson est finie.

Memory leaves

Lié à: le col des contrebandiers.

Tags: , , ,

Suivre les commentaires

Aucun commentaire



Un peu de HTML, ça passe.

ou répondre à cette publication via un trackback.