For love I come

15 juillet 2023

I was waiting for so long for you to come pick me up.

It’s leaving you that scares me.

C’est une nuit de juillet torride

L’air est humide et lourd

La chaleur colle à la peau

Sur l’écran au fond de la scène, un film

Où les images s’enchaînent, brouillées

Nostalgie d’un voyage passé

Où se fondent villages, paysages marins et gratte-ciels

Tout le monde trouve sa place ici à la croisée des chemins

Pourtant

Nous sommes là parmi la foule qui oscille et vibre

Ensemble mais seuls

Je cherche ton regard dans la pénombre

Une porte pour entrer dans ton monde

Cet inconnu familier où serpente mon esprit

Ma main cherche ta main, qui se dérobe

Fuir est facile dans la cité des miroirs

Où tout n’est que leurre, illusion et mirage

Sur les notes chargées de plomb que traversent des rythmes tranquilles

Je crie en silence pour ne pas entendre ma rage qui gronde jusqu’au bout de la souffrance

Mais le temps passe lentement.

Lié à: le col des contrebandiers.

J’étais. Je serai.

3 avril 2023

C’était un lundi comme les autres, un lundi d’avril, un lundi avec un ciel bleu et l’air un peu frais. C’était le 3 avril. Je marchais sur le trottoir, comme tous les matins, de la musique dans les oreilles, en riant des poissons du samedi. La pêche avait été bonne. La voix élégante et douce de Snoh Aalegra glissait de manière presque surnaturelle sur des airs délicats et froids. Elle racontait la confusion, la douleur, la rupture, la fin de quelque chose. Mais ce n’était pas que des refrains. Ce n’était pas que des histoires. J’aurais dû me méfier.

J’ai entendu son pas dans la pièce d’à côté. Ses talons claquaient sur le vieux plancher de bois. C’était dur et décidé. Pas comme d’habitude. Et puis, j’ai vu son visage, fermé, ses lèvres serrées. Une vague de tristesse et de colère qui entre avec lui dans la pièce. Il n’a pas encore prononcé un mot. Je sens sa douleur, vive mais contenue. Qu’est-ce qui se passe? Et puis une phrase qui sonne comme un glas, qui dit : c’est fini.

Je suis sidérée. Je ne vois plus, je n’entends plus, ma bouche est sèche, ma respiration courte : mon coeur se fige. Non! Ça ne se peut pas! Pas encore! Pas deux fois comme ça, sans crier gare. Je ne veux pas. Mon corps se tend pour éviter la chute. Si je naviguais en mer, ce serait le naufrage. Incapable de rester à flot, est-ce que je m’enfoncerais profondément, avalée par les vagues indifférentes?

Pourquoi? Ce mot résonne et frappe dans ma tête vide, ne trouvant aucune réponse. J’ai besoin qu’on m’explique. Mais la journée passe et je suis comme une orpheline, avec ce grand chagrin à garder comme un secret honteux. Je voudrais crier, pleurer,  taper pour faire sortir le doute, la colère et la peur. Mais je ne peux pas, pas maintenant, j’ai besoin de me protéger, j’ai un autre combat à mener, plus tard. 

Mon cerveau se barricade. Il ne sait plus où il est et ce qu’il fait. Mes mains tapotent machinalement sur le clavier. Chaque touche est un pavé auxquels mes doigts s’accrochent pour garder contact avec la réalité. 

Tu me demandes de temps en temps comment je vais. Je vais mal. Je ferme les yeux mais, quand je les rouvre, c’est tout noir. La descente continue. 

Vibrations dans ma poche. Je serai là à 17h qui s’affiche sur l’écran. Plus que quelques heures et il entrera dans ma maison. Il va peut-être crier ou me dire des mots durs et blessants. Il ne dira peut-être rien et ne me regardera même pas. Je ne sais pas ce que je crains le plus : sa violence ou son indifférence. 

Tout le monde pense que je suis forte et que je n’ai besoin de personne, mais moi je me sens comme une enfant perdue. Souvent. Dans ma tête tourne en boucle une question : « Qu’est-ce que ce sera quand le jour sera terminé? » 

L’heure est arrivée. Je suis prête, mais rien n’arrive. Je le sais qu’il le fait exprès. Je sens mon corps qui bout. Je sens mes mains qui tremblent. Et tout à coup comme si l’attente n’était pas assez cruelle, viennent les mots durs, les phrases assassines. Alors, dans mon esprit comme sur la platine tournent à en être étourdie ces mots : « Tout ce que tu as à faire, c’est de tenir le coup. Ton jour ne se transformera pas en nuit. C’est ton combat sacré. Tu es la guerrière, la puissante. » 

Il ne saura jamais que je me sentais faible quand il a traversé la pièce et a vidé le placard. Il ne saura jamais que, si je lui ai tourné le dos, c’était pour ne pas voir son visage, pour ne pas rester prise dans son regard comme dans un labyrinthe sans issue,  pour le sortir de ma tête à jamais, pour que ne subsiste aucune trace de ses yeux dans les miens. Effacés, les souvenirs.

Deux petites minutes, à peine. Le bruit des roulettes sur le plancher et puis la porte qui claque et puis, plus rien. Le silence. Fin!

Après, je suis sortie : j’avais besoin d’air. La Lune était bien ronde et lumineuse. Elle éclairait le chemin. Tout droit, par là : devant.

On a l’impression que tout s’effondre, qu’il n’y aura pas de lendemain, que l’imparfait est le seul temps qu’il nous reste pour parler de nous. J’étais…

Pourtant, une fin n’est une fin que jusqu’à ce que ce soit un début. 

J’étais. Je serai.

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Amour en rade

27 décembre 2022

À Kennedy

[…] c’est la fin du début.

Kennedy – Différent

Mes rues sont pleines de rêves morts et d’étoiles écornées 

Poussés par le vent malin, certains trouvent encore la force de rouler 

Sur le sol, évitant les ornières, les faux pas ou les Passe ton tour

J’écoute le souffle du matin

Bruissement des mots du ciel quand mes pieds froissent les feuilles à terre

Un chemin s’ouvre : une lame de lumière fend l’onde mobile

Rien n’est sûr ici-bas

Même pas le pont qui relie les rives

Même pas les arbres dont les racines courent sur la grève 

Même pas ces feuilles immobiles en haut des érables

J’imagine leur chute

Lente descente programmée?

Comme nous

Qui a décidé que c’était terminé?

Sur la branche, il n’en restera bientôt qu’une

Résistance inutile 

Est-elle fière d’être la dernière ou pense-t-elle à décrocher?

Solitude amère

Qu’est-ce qui reste, après tout?

Je sais

Toi aussi 

Tout le monde

Qu’à travers l’épaisseur tremblante du brouillard 

Sans clé des songes, point de salut

Et puise l’amertume 

Oublie l’étincelle

La vie, l’espoir au creux des mots

Le sablier de mes nuits ne t’attendra plus.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Memory leaves

11 juillet 2022
La jeune à la perle. Dessin adapté de la toile de Vermeer (1665)

À Williams E. M.

« L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité. »

NietzscheLa Volonté de puissance

Cette nuit-là, il n’y avait pas de nuages dans le ciel du festival.
Et rien de ce qui a existé
N’existerait
Jamais plus.

Cette nuit-là, il y avait le jazz de Masego, la chaleur du saxophone et les cris des fans dans la foule.

Sous les spotlights, en avant de la scène,
Un point qui se détachait comme le ciel, l’eau, la mer, l’air ou l’espace.
Un petit point bleu turquoise,
Ma robe ample et mobile comme une invitation au voyage.
Ma robe bleu serein comme, lorsque, tranquille,
On est en partance pour des rêves par-delà les paupières 
Ou des illusions sans frontières.

Cette nuit-là, c’était l’été, on s’évaderait.
Cette nuit-là, je prierais Dieu, mais ce serait pour rien.
Pourtant, des roses pleuvraient bien du ciel.
Et des billets de 100$ venant d’un royaume qui n’existait pas me permettraient les fantaisies les plus folles. 

Pick-up : la batterie casse enfin le silence.
Puis clé sur clé, la mélodie remplit la salle.
Et enfin sa voix qui crève l’air
Et installe le groove
Pendant que tournent les loops, s’enchainent les couplets et les Da-Di-La-La des refrains.

J’ai fermé les yeux pour tout absorber sans limite.
Pendant des heures, j’ai chanté à tue-tête des ritournelles vives.
Battu le tempo en agitant le bras au-dessus des têtes.
Comme des milliers de hampes supportant les figures.

Avec la foule, j’ai chanté ces rimes qui parlaient de nous.
Mon corps a marqué la cadence suivant les variations de la gamme.

Mais en moi, toutes les cordes ont rompu.
Mes yeux ne savent plus déchiffrer la partition.
Mes mains sont incapables de jamer.

Mes pieds, toujours en retard d’une mesure.

Ad lib. 

Fill, Fla, Tadow.
C’est là que je t’ai vue.
En fait, plutôt lui que j’ai reconnu dans la foule bigarrée qui se ruait dehors. 

De toi, pour être précise, je n’ai aperçu qu’un turban et un visage.
Celui d’une autre plutôt, qui n’est ni toi ni l’autre.
Ce visage, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. 

Au milieu des corps portée par le rythme, toi, tu étais immobile,
Regardant droit devant
Fixant je ne sais quoi.

Ton visage impassible contrastait avec les sourires radieux.
Les lèvres serrées, étais-tu fâchée ou triste?
Tu avais l’air d’arriver d’un autre temps.
Une soie mauve, savamment enroulée sur ta chevelure qu’on devinait abondante sous le tissu mordoré. 

Dans cette agitation, alors que les mots jaillissaient tout autour,
Rebondissant sur les rondes et virevoltant sur les croches,
Anita, as-tu entendu le silence du battement de mon coeur?
Mon coeur qui a figé alors que ma main s’agitait.

Toi, ce n’était pas moi que tu regardais puisque moi, je n’étais pas là.
Non pas là.
Pas là du tout.
Pas même un petit peu.
Même pas le temps d’un silence, d’une blanche ou d’un soupir. 

Plus là pour lui qui te suivait.
Plus là pour lui qui m’ignorait.

Plus là pour lui qui fuyait mon salut.

Dans la lumière crue des néons, j’ai vu ta peau chromatique
Luisant comme le visage de la jeune fille de Depht,
Clair, lumineux, tendre et doux,
Anita, ton visage semblait éclairé de l’intérieur. 

Dis, Anita, étais-tu heureuse ou triste? 
Oh, Mon Anita, dis-moi, de quelle couleur sont tes yeux? 
Sont-ils marrons, verts ou bien bleus? 
Anita, Oh, dis-moi, ton café? Comment tu le bois?

Qui étais-tu?
Je pose la question pourtant je ne devrais pas : tu es si familière :
Petit portrait de 15 par 17.
Composition et couleurs très simples : du bleu, de l’ocre, du jaune.
Quelques traits, peu marqués, fondus : la ligne du nez, invisible.

On doit t’imaginer. 

Pourtant, sur la toile, il y a bien une jeune fille qui regarde par-dessus son épaule; elle est coiffée d’un turban exotique et porte une perle à l’oreille que frappe une source de lumière lointaine. 

Une jeune fille
Inquiète, intrigante, mystérieuse
Curieuse, jeune, perdue
Énigmatique, surprenante, volontaire

C’est un idéal sur un fond noir : symbole ambigu de pureté ou de vanité? 

Une jeune fille
Belle, désirable, sensuelle
Amoureuse, tendre, triste

Une jeune fille
Bonne, dévouée, douce
Lumineuse, passionnée, vive
Paisible, simple, vraie.

Pourtant, l’essentiel nous échappe toujours : regarder n’est pas voir…

LA SI DO, j’ai improvisé un solo.
Avant qu’arrive le sol, je me suis rattrapée, j’ai changé de ton jusqu’à la dernière note.

FA MI RÉ, c’est le dernier accord, plus une croche sur la portée.

LA SOL MI, le pont est franchi. 
Coupe le son.

La chanson est finie.

Memory leaves

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Je te laisserai des mots

9 octobre 2021

Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est par ce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. […] Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée : il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.

L’avalée des avalés – Réjean Ducharme

Je suis allée vers la rivière. Il y avait là deux ou trois vieux qui pêchaient, la clope au bec et le visage heureux. Ils semblaient n’avoir rien pris pourtant, à moins qu’au bout de leurs lignes qui faisaient les mortes, ils aient ferré le temps qui passe.

J’ai marché un peu, longeant la rive jusqu’à une petite clairière. Le soleil était singulièrement chaud pour la date. Des feuilles tombaient ici et là, seul signe qu’on était déjà en octobre.

Mon regard ne s’attachait à rien, divaguant sans but et se laissant bercer par le mouvement calme de l’onde, qui frissonnait sous le souffle du vent. Dans mes oreilles, Spotify déversait les nouveautés musicales de la semaine sur lesquelles le clapotis de l’eau se greffait sans aucun égard pour le tempo.

A quelques pieds de la souche où je m’étais assise, un canard faisait sa toilette. Minutieusement, il picorait son plumage, se moquant bien de moi et de ma tristesse que je ne retenais plus.

Des promeneurs s’étaient approchés. Qu’importe! Ils pouvaient bien penser ce qu’ils voulaient, je m’en fichais. Moi, je n’étais déjà plus là. J’étais devant ta porte, ma main dans les airs, hésitante encore…

Trois petits coups secs qui résonnent gravement. Toc.Toc.Toc. Bruit de pas dans le couloir. Tu ouvres. Tu me souris : tu es content de me voir. Tu m’invites à entrer et tu m’ouvres grand tes bras. Tu me gardes un moment contre toi jusqu’à ce que le battement de mon cœur s’apaise, jusqu’à ce qu’il s’accorde tranquillement au rythme du tien.

J’ai besoin de te voir. Mes yeux cherchent les tiens. J’ai besoin d’une digue pour contenir le tumulte. J’ai besoin d’une bouée pour éviter la noyade. De sentir que là, avec toi, pour quelques heures, je suis en sécurité. A l’abri, protégée des tempêtes et du ressac des flots.

Une partie de moi s’affole puis se fige. J’ai peur. Si peur. Et tout à coup, sur mon coeur, la petite entaille laissée par le scalpel se resserre jusqu’à faire si mal que j’en pleure. C’est intolérable. Et si tu ne disais rien? Si tu me regardais l’air surpris ou peut-être même embêté? Si tu ne me comprenais pas? Si tu me jugeais?

Demain, je le saurai.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Never siempre

23 avril 2021

À J. W. K.

Hoping for a life more sweeter
Instead I’m just a story repeating

Sweeter – Leon Bridges

Et toi, tu dors
Du sommeil du juste
Tranquille et lisse
Pourquoi en serait-il autrement
D’ailleurs
Pourquoi troubler ton souffle si doux
Pourquoi t’alarmer
Pourquoi
Pour quoi
Tu es si jeune.
Moi, j’ai les yeux qui roulent
Sur la peinture défraîchie du plafond
Attendant l’aube
De désirs en délires
Avec l’envie rêveuse et vorace
Avec l’esprit tranchant comme un glaive
Avec l’espoir d’un jour nouveau
Qui ne viendra pas.

Lié à: le col des contrebandiers, le roc d'enfer.

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Sfumato ou une question de limites

19 mars 2021

à J. W. K.

« Notre base n’est pas fixe; (…) Je vois un passé en ruines et un avenir en germe, l’un est trop vieux, l’autre est trop jeune, tout est brouillé. Mais c’est ne pas comprendre le crépuscule. »

Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850

« Si tu veux voir l’infini, ferme les yeux. » 

Milan Kundera, Le Voyeur absolu, 1992

« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »

Jacques Lacan, Séminaire XII, 1964.

C’est pour toi.

Un morceau de lave, ramassé dans la dernière colère du volcan, symbole du sentiment qui brûle tout en ce pays de contraste et de passion comme le feu qui a détruit mon coeur.

Je t’en veux.

J’ai le goût de taper dans un sac de sable jusqu’à ce que mes jointures éclatent, qu’elles me fassent si mal que j’en crie de douleur pour ne plus sentir celle qui est là, tapie dans ma poitrine, qui brûle et qui ravage.

J’aurais le goût que tout s’arrête enfin car rien ne change. Rien, malgré le ciel bleu, la douceur du printemps qui s’installe et les mantras positifs.

Je suis prise de vertiges. Pourtant, je suis couchée. Sentiment de panique si intense que je n’ose plus bouger. Le temps s’étire… Mon corps a la raideur d’un gisant. Dans ma tête, c’est le chahut : les questions fusent sans répit, cherchant des réponses, en vain. Elles s’agitent, se bousculent.

Pourquoi t’es pas parti, toi? Pourquoi tu voulais rester, dis-moi! Pourquoi tu t’en vas pas? Pourquoi t’as tout accepté? Pourquoi t’as jamais dit non, jamais dit ça suffit, jamais dit stop! Pourquoi tu m’as laissé sombrer? Chaque jour, plus profond. Chaque jour, un peu plus. Pourquoi t’as rien fait pour empêcher ça? Pourquoi tu mens encore? Pourquoi t’as été lâche à ce point? Pourquoi tu continues de l’être?

En Sicile, les collines sont vertes et luxuriantes, embaument le parfum des citrons, des lauriers roses, bougainvilliers et magnolias blancs. Surprenant pour une île qui ne connaît que vingt-deux jours de pluie par an, cette eau rationnée quotidiennement et si rare que, comme elle leur est envoyée du ciel, les Siciliens l’ont surnommée l’eau bénite.

Revenir à moi. Retourner au jardin. Trouver mon fauteuil, le vieux fauteuil Adirondack rouge, près de l’étang et du parterre de vivaces. M’y asseoir. Fermer les yeux. Respirer.

Le parfum de la menthe emplit tout à coup mes narines. Je me sens vivifiée, stimulée par cette odeur puissante qui s’épanouit dans l’air environnant.

Mon souffle s’étire, s’amplifie. Il crée de l’espace. Le calme s’installe.

Mon attention se porte sur le léger clapotis de l’eau, sur le vert profond des feuilles, sur la fraîcheur de l’air et les frissons qu’il procure sur ma peau. La respiration crée un mouvement dans mon corps; une nouvelle énergie circule. C’est doux et chaud. Mes muscles se détendent. À l’intérieur de moi, ça pétille même. Je souris.

J’ouvre les yeux. Tu es devant moi mais ton visage est flou comme dans un tableau impressionniste. Alors je m’amuse à explorer les frontières entre le visible et l’invisible : ce n’est plus le combat de l’ombre et de la lumière, mais l’encerclement des deux par l’indiscernable. Plus j’essaie de te voir, plus tu deviens vaporeux, intangible, imprécis, approximatif comme toutes les pensées qui me relient à toi deviennent légères, en attente de leur propre disparition. Les marges s’effrangent, les territoires deviennent évanescents. J’accepte la complexité et l’inachèvement. C’est l’heure entre chien et loup, le crépusculaire dont on ne sait jamais, même en l’éprouvant, s’il faut l’interpréter comme la fin d’un jour ou l’annonce d’une aurore.

Les effluves de menthe saturent l’air maintenant. La nuit est tombée, mes yeux ne distinguent plus rien : il est temps de rentrer.

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Hasta la vista

11 mars 2021

À J.W.K..

“Qu’est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance croît, qu’une résistance est en voie d’être surmontée.”

Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 1888

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Il est 2h du matin. Je n’arrive plus à dormir. Ma nouvelle vie sans toi a commencé et j’ai peur. Je ne devrais pas mais je suis terrorisée. Je me suis levée, je suis allée dans le salon pour m’éloigner de toi, pour voir ce que ça me fait maintenant que c’est moi qui ai décidé de prendre du recul. Le silence est long et vide : il me semble si grand et moi, si petite…

J’ai froid, j’enfile un t-shirt; j’ai toujours froid, je tremble. Je tremble tellement fort que mon corps s’agite comme un malade atteint de Parkinson. Tous mes muscles sont contractés. Ça fait mal.

Respire, respire, une fois, deux fois, lentement; encore: une fois, deux fois. Compte jusqu’à 5. Encore, une fois, deux fois, jusqu’à ce que les tremblements s’apaisent et cessent.

Les larmes coulent. Je les laisse couler…

Le chien et le chat m’ont rejointe, ils sont intrigués. Je suis en petite boule sur le divan. Mes bras enlacent mes jambes en position fœtale. Repli. Refuge. Attente.

Tu y es presque. Reste ainsi jusqu’à ce que ton souffle circule librement de la pointe de tes cheveux jusqu’au bout de tes orteils tranquillement, patiemment, qu’il réchauffe chacune de tes cellules, qu’il t’anime.

Le silence se remplit des ronrons du chat et des soupirs du chien. C’est vivant. Je suis plus calme, je respire mieux.

Je suis revenue m’allonger à tes côtés sans te toucher. Le drap trace une frontière entre nous. Pendant un moment, je n’entends plus ta respiration. C’est bizarre : il y a pourtant ton corps sur le matelas de l’autre côté du drap. J’avance mes doigts pour toucher ta peau, elle est fraîche. Tu es bien là. Tu y seras jusqu’à dans quelques heures, jusqu’à ce dernier câlin qu’on se donnera comme un au revoir.

Ça me fait du bien de n’entendre que ma respiration. Je me grise de cet air qui rentre dans mes poumons, que je fais descendre dans mon ventre, dans mon sexe, dans mes jambes, que je dirige où je veux désormais. Je suis le pilote. Je choisis ma destination. Vertige.

Le chat a sauté sur le lit. Il s’est installé sur tes jambes. On n’entend plus que son ronronnement régulier, doux et affectueux. Il choisit toujours son humain. Cette nuit, il t’a choisi, toi. C’est sa façon de te dire qu’il s’en remet à toi durant son sommeil, que tu lui procures de la sécurité quand il est dans son état le plus vulnérable. Ça me rassure. S’il t’a choisi, je lui fais confiance : les animaux ne se trompent pas.

«Tu ne dors pas?»

C’est la petite fille en moi avec sa voix de 4 ans qui t’a répondu : « Non » Un non timide et inquiet. Et elle s’est blottie dans tes bras. Elle a encore peur. C’est normal, c’est nouveau.

Il est 3 heures. Je ferme les yeux. Dans mes oreilles, comme un bruissement singulier, on dirait des piaillements d’oiseaux… non plutôt la stridulation des criquets. Ils chantent, fort! La mer apparaît d’un coup. Les odeurs de la pinède emplissent mes narines. Le soleil caresse ma peau. Je suis bien.

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Le costume

2 mars 2021

Je ne peux pas créer un costume pour cacher qui je suis vraiment… Non, je ne peux pas trouver ou créer un costume assez grand, assez beau, assez convenable pour cacher aux autres et à moi-même qui je suis vraiment.

Est-ce pour masquer ma vérité ou pour la dévoiler que je farde mon regard, que je tronque mon visage, que je modifie mon apparence? Qu’est-ce que je cherche?

Je joue avec les filtres, savamment, prétextant une intention artistique et la recherche de la beauté. En vérité, je manipule les images jusqu’à ce que moi, je me trouve belle, là dans ces compositions qui me permettent de toucher à ma vulnérabilité, qui me permettent de lui donner une place pour s’exprimer et exister.

Il n’y a rien de narcissique dans cette démarche, simplement le désir de transgresser la peur d’être telle que je suis, entière, unique, différente et surtout de l’apprécier, de l’accepter.

Quand j’emprunte les costumes de ces héroïnes dotées de super pouvoirs, je porte leurs habits pour me convaincre de la force qui m’habite alors que je pourrais marcher nue, fièrement.

Ma fragilité et ma sensibilité sont ma force. C’est le vrai Moi dont tout le monde tombe amoureux et que j’apprends à aimer… enfin.

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Est-ce moi

22 janvier 2021

À J.W.K

« Chase what you know

Cover your weave

Jump in the fall

Follow that sea

Chase what you know (You’ll be the only one)

Cover your weave

Jump in the fall»

Hope, Blood orange

Est-ce moi

mon visage mon regard mes grands yeux verts

mon sourire ma petite voix d’enfant mon accent désopilant

Est-ce moi

mon rire spontané et contagieux mes manies «so peculiar» mes délicates attentions

Est-ce moi

ma peau mes lèvres mes hanches pleines mes seins généreux mon sexe

Est-ce moi

ma fragilité déconcertante mon désir irrésistible mon amour infini

Est-ce moi

dans ton regard quand le sommeil t’emporte

dans tes oreilles quand la nuit étouffe tous les autres bruits

Est-ce moi

dans ta bouche dans tes mains dans tes bras

quand tu rêves

Est-ce moi

ce matin demain encore une fois et une autre

Est-ce moi

et puis seulement une

une dernière fois

plus jamais?

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À l’aube de ta bouche

27 juillet 2020

À J. W. K.

Heureux les amants séparés
Et qui ne savent pas encor’
Qu’ils vont demain se retrouver
Heureux les amants séparés

Heureux les amants épargnés
Et dont la force de vingt ans
Ne sert à rien qu’à bien s’aimer
Heureux les amants épargnés

Heureux les amants que nous sommes
Et qui demain loin l’un de l’autre
S’aimeront s’aimeront
Par-dessus les hommes

Heureux, Jacques Brel

J’ai marché sur le chemin dans la lande déserte en direction des falaises de craie. Leur blancheur immaculée sous la Lune faisait comme un linceul qui se dressait contre les flots noirs de l’océan. Il y avait le vent agitant les bruyères et sifflant sur l’écume. Il y avait le tumulte de la nature sauvage et indomptée. Il y avait mon coeur battant la chamade. Que trouverais-je au bout du chemin? Quel avenir pour moi, désormais?

Une étoile avait brillé plus fort un court instant dans le ciel. Était-ce le signe de la mort d’un monde ou l’étincelle qui précédait la naissance d’un nouveau?

Je marchais lentement, sans craindre la morsure du vent sur ma peau à peine couverte ni les bruits étranges et inquiétants qui surgissaient de nulle part. Tu m’avais donné rendez-vous.

Sur le chemin sinueux qui menait à la baraque, mes sandales laissaient leurs empreintes quelques instants : des traits en forme de flèches qui n’indiquaient qu’une direction. Avancer, un pas devant l’autre, portée par la patience; encore quelques mètres et j’y serais.

La chaumière était là depuis des centaines d’années, tenant encore debout, malgré tout. Elle avait une allure singulière avec ses murs légèrement inclinés, ses volets bleus dépareillés et son toit de chaume dans lequel les linottes avaient fait leur nid. À l’intérieur, ses murs étaient imprégnés de l’odeur des embruns et la fraîcheur qui y régnait apaisait les esprits les plus échauffés.

Tu m’attendais, assis sur le petit banc de pierre, ta silhouette se découpait sur le mur de grès. Calme et silencieux comme à ton habitude, ton regard suivait ma progression. Chacun de mes pas me rapprochait de ton désir.

Plus qu’un mètre. Je me suis arrêtée. Tu t’es levé. Nous sommes restés un long moment nous fixant intensément, sans dire un mot. Le vent faisait danser l’étoffe de ma robe me donnant l’aspect irréel d’une fée. Tu as dit : «Tu es belle, Pili Pili, et la Lune donne une couleur plutôt jolie à tes cheveux.»

Tu m’as tendue la main et m’a attirée contre toi et puis tu m’as enveloppée de tes bras. Il faisait bon, là… Mon nez dans ton cou, ma tête contre ton épaule forte et rassurante. Mes yeux se sont mouillés. J’étais comme une enfant avec un chagrin si grand… Tes bras m’ont serrée plus fort, ta main caressait doucement mes cheveux. «Laisse-toi aller, Alice. Tout va bien maintenant. C’est fini. Tout va bien aller maintenant.»

Tu m’as portée jusqu’à la chambre. Lentement, tu as fait glisser ma robe. La pâleur de ma peau contrastait avec l’ébène de la tienne. J’ai pris ton visage entre mes mains comme un joyau précieux. «Tu es beau.»

J’ai posé mes lèvres délicatement sur les tiennes et je les ai embrassées. J’ai pris mon souffle à l’aube de ta bouche. Dans nos regards, le reflet étourdissant d’un amour fou.

Et puis… les minutes et les heures ont tourné sur le cadran de la vieille horloge de la cuisine. Seul le carillon marquait le passage du temps. Nous, on s’en foutait du passé. On se conjuguait au présent et au futur. On se buvait, on se dévorait, on n’était plus qu’un jusqu’à ce que la jouissance nous laisse pantelants, mais repus, comblés.

Nous avons traversé la nuit et le jour ainsi. Et puis d’autres encore….

Avant de nous quitter, je t’ai demandé de ma petite voix : «C’est ça, vivre d’amour et d’eau fraîche ? » Tu as répondu avec un baiser.

Je n’avais jamais connu un tel bonheur.

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Sur mes traces

29 août 2017

À J. A. et B. K.

154, Punta Montgo apte 9, est-ce bien là?…

C’est le jour de ma fête. Jour de l’annonciation. Le soleil est fort, la mer d’un bleu profond. Elle est lisse et rejoint le ciel au point d’horizon sans aucune distinction entre l’une et l’autre comme s’il n’y avait pas de début ni de fin, comme si c’était une métaphore à décoder, comme si tout n’était qu’éternel recommencement.

C’est la tour qui m’a fait signe au loin, là-bas au bout de la baie, petite tâche colorée surplombant les maisons invariablement blanches. Elle se dresse comme autrefois, seule au sommet de la colline. Je me souviens que j’y étais montée avec un paquet d’allumettes. Pourquoi des allumettes d’ailleurs? Je ne me rappelle pas avoir eu envie de faire flamber la garrigue cette nuit-là, même si le brasier  allumé n’aurait rien eu de comparable avec le feu qui me consumait alors. Celui-là ravageait tout sur son passage, m’immolait dans un sacrifice impitoyable, celui de mes amours mortes.

Tu ne m’as pas vue sortir de la maison…

Tu avais tellement peur que je commette l’irréparable que tu m’avais enfermée dans ta chambre. À double tour plutôt qu’un. J’avais attendu que tout soit calme dans la maison et puis je m’étais évadée, sautant du balcon et manquant me rompre le cou. Là-haut, dans la clarté de la pleine Lune, la tour, depuis des siècles repère pour les marins, m’attendait.

Je venais à peine d’arriver à la tour que j’ai entendu ta voix crier dans la nuit. Je t’ai regardé gravir la colline comme un fou, guidé par les flammes, petites lucioles dans la noirceur. Tu courais à en perdre haleine en hurlant mon nom, et puis des «s’il te plait» et des «fais pas de conneries, merde!» J’ai presque trouvé ça drôle…

Tu m’as trouvée assise au pied de la falaise. Très calme. Je brûlais les allumettes. En fait, je les frottais une après l’autre et je les soufflais comme une bougie, sauf que ce n’était pas mon anniversaire.

Tu t’es assis à côté de moi, reprenant ton souffle. Tu as passé ton bras autour de mes épaules. Je ne me souviens plus si je pleurais. Tu m’as certainement dit ce qu’il convenait de dire en de telles circonstances. Que tu étais désolé, que tu n’y pouvais rien, que t’avais pas cherché ça… et puis tu as ajouté que tu m’aimais, mais que tu aimais encore plus ta liberté! Que pouvais-je faire du haut de mes vingt-trois ans contre une maîtresse aussi puissante? Je n’étais pas de taille. J’ai même pas cherché à combattre. J’ai rendu les armes. J’ai capitulé. J’ai serré très fort les allumettes brûlées dans ma main. Je me suis dégagée de ton étreinte et, sagement, j’ai repris le petit sentier qui menait à la maison. Je crois que mon mutisme t’a terrifié encore plus que mes larmes et mes cris de l’après-midi.

Nous sommes rentrés dans la maison. Tu as voulu dormir dans le même lit que moi pour être sûr cette fois-ci que je n’échapperais pas à ta vigilance. J’ai donné le change, je t’ai demandé de me prendre dans tes bras. Après tout, j’étais encore officiellement ta blonde. Tu as dit «oui, bien sûr». Ça te rassurait sur mon état. T’inquiète pas, je vais m’en sortir. C’est pas comme si ça faisait deux ans qu’on se fréquentait, hein? Trois petits mois d’amour, c’est pas grand chose…

Tu m’as dit que j’étais incroyable. Je crois même que tu as dit que j’étais terrible. Que ça te manquerait… Et puis, tu t’es endormi comme une masse. Moi, j’avais ta main sur mon coeur, les yeux grand ouverts, et toujours les allumettes dans ma paume.

Je n’ai pas dormi de la nuit. J’ai imaginé ma vengeance. Patiemment, méthodiquement. Un jour, tu rencontrerais une femme d’une beauté exceptionnelle, chavirante. Des cheveux de geai, des yeux d’un bleu intense. Un corps de rêve, bien entendu. Au premier regard, tu en tomberais immédiatement amoureux fou. Tu quitterais femme et enfants pour la suivre et, quand elle se serait bien assurée de ton amour inconditionnel pour elle, elle t’abandonnerait à ton tour. Sans un mot d’explication. Sans prévenir. Un matin, tu ne trouverais plus rien qui puisse te rappeler qu’elle avait fait partie de ta vie. Tu aurais vécu quelques années avec elle, sans jamais me reconnaître.

Ton bras avait glissé. J’en ai profité pour sortir du lit. J’ai ouvert la baie vitrée. Le feu de mon coeur embrasait le ciel. Avec les allumettes brûlées, j’ai écrit JE T’AIME sur le plancher du balcon. J’ai pris tes clés de voiture. J’ai ouvert la porte. Je suis sortie. Je ne savais pas où j’irais. Le moteur du 4×4 blanc a vrombi. Tu as sursauté dans le lit constatant ma deuxième fugue. Tu t’es précipité dehors. Je t’ai vu gesticuler dans mon rétroviseur et enfourcher ta moto, mais j’étais déjà loin. Quand tu es arrivé au bout du chemin, quelle direction prendre? Gauche? Droite? Tu as certainement dû échapper un «Putain! Fais chier!» Tu es retourné à la maison. Plus tard, t’as appelé tes amis pour leur dire de venir te chercher pour aller surfer, que j’étais partie avec ton char…

J’ai roulé, suivant le chemin qui menait à la plage, celle où je t’attendais durant des heures, assise à te regarder fendre l’écume sur ta planche. Mais ce matin-là, il était si tôt que la plage était déserte. Aucun papillon multicolore ne virevoltait déjà sur les flots. C’était bizarre de me retrouver là sans toi. Comme une incongruité. Aujourd’hui, je sais que l’incongruité, c’était moi. Je n’avais pas de place dans ta vie. Je ne t’avais pas choisi. C’était toi. Tu m’avais eue dans ta mire et avais travaillé sans relâche jusqu’à ce que je cède à tes avances. Tu n’avais écouté que ta chanson et n’avais jamais joué que ta partition. Moi, je manquais les croches et je ne respectais pas les silences. J’étais toujours à contre-temps, jamais dans la mesure, toujours trop vite ou pas dans le ton.

Hier, quand ma soeur a senti qu’il était important pour moi de retourner sur mes traces. Quand mon fils a demandé pourquoi je cherchais à me rendre jusqu’à cette tour qui lui paraissait sans intérêt, elle a répondu que j’avais un pèlerinage à faire. Et elle a ajouté : «allons-y!»

Comme le temps n’est rien! À peine j’avançais sur le chemin qui menait à la tour que je replongeais dans cette nuit de juillet. Malaise, tristesse, dépit, colère,… C’était si vivace encore. La blessure à vif, j’ai serré les mains sur des allumettes imaginaires.

Tu m’avais abandonnée. Tu m’avais laissé venir à toi pour me dire que tu m’abandonnais pour une femme qui portait le même nom que moi, que tu n’aimais pas, qui serait une passade. Pour me dire que tu ne m’avais pas encore trompée, mais qu’il fallait qu’elle soit tienne pour en finir avec cette obsession.

Je t’avais crié : «eh bien , baise-la! Et après, on pourra s’aimer comme avant!» Mais ça non plus, ça n’aurait pas pu être possible…

Après cette nuit, c’est moi qui n’ai plus été capable d’aimer du tout. J’ai trainé avec moi comme un boulet, cet abandon…. J’ai forcé mon coeur, essayé de lui imposer des hommes qui voulaient beaucoup mais ne pouvaient en donner autant, fait taire ma voix, oublié mes désirs. Je n’ai jamais trouvé quelqu’un qui m’acceptait complètement.

J’ai compris au pied de la tour, regardant mon passé sans faux fuyant que mes amours successives n’avaient jamais été là pour un partage, une communion, un chemin. Elles avaient tenté inlassablement de combler un manque, la peine si douloureuse de cet abandon, le premier de ma vie. Lorsque je suis revenue très tard, ce soir de juillet, il y a vingt-quatre ans, j’ai fermé ma valise. Je ne l’ai plus jamais rouverte.

24 ans…

… Jusqu’à aujourd’hui.

Ave Maria.

Roses, le 16 août 2017

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Protégé : Eau sans o pour des héros

4 novembre 2015

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Ne me twitte pas ou comment rompre en peu de mots

30 octobre 2015

Dans le cadre d’un concours intitulé « Ne me twitte pas », lancé par le blogue Zone d’écriture de Radio-Canada en février 2012, on proposait de rédiger un tweet de rupture, sur le thème «Comment rompre en 140 caractères» (ou plutôt en 125 caractères ou moins, pour être plus précise).

Par hasard, récemment, je suis tombée sur le fil de ma participation à ce concours. J’avais oublié ces écrits et c’est avec plaisir que je les ai retrouvés. Je les publie ici pour ne pas les laisser tomber dans les oubliettes du net une autre fois et pour aider les personnes en mal d’inspiration qui auraient besoin de mots pour mettre fin à une histoire d’amour.

 

J’étais ton amie, ton amante, ta souris, ta cocotte, ta chérie, mais si peu ton amour et finalement… tellement rien.

Non. Je ne serai pas seule. Je choisis simplement avec qui je le serai : moi! Et ça devrait être plutôt mieux qu’avec toi.

Hier, tu m’offrais des bijoux. Aujourd’hui, tu me cherches des poux. Demain, tu m’abandonneras comme tes anciens joujoux.

Pastichant Réjean Ducharme : L’amour, ce n’est pas quelque chose. C’est quelque part. Et, c’est ailleurs. Et, pas avec toi.

Quelque chose m’échappe, mais je ne sais pas quoi… Ah, oui! Toi!

J’ai poussé la porte de la chambre. Leurs yeux, aveuglés par la lumière. Stupeur. Moment d’effarement. Putain, je suis cocue!

Notre lit. Une autre, là. Nue. Et toi aussi… Scénario pourri : vos soupirs, répliques assassines. Hurler? Non! Partir.

Amour à une voyelle et une consonne près, c’est armure. Comme quoi, j’aurais dû blinder mon coeur quand je t’ai rencontré.

Environnement Canada a mis ma tête à prix : j’ai sacrifié trop d’érables à y graver nos intiales enlacées.

Remambrance, ma mie : le philtre d’amour nous lie comme le chèvrefeuille au coudrier. Ni vous sans moi, ni moi sans vous…

Vengeance littéraire : «Petite vérole, a conclu le médecin. Du courage, Rodolphe. C’est cruel, mais ce n’est pas ma faute.» 

Phéromones! Avoir su que l’amour était une question de chimie, j’aurais écouté le prof de sciences au secondaire.

Il est 22h. J’arrête mes gazouillis de rupture. Je me suis bien amusée merci @zonedecriture et à tous les participants.

 

 

 

 

Storify de ma participation au concours

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J’ai un rêve

9 mai 2015
« C’est par les rêves que l’humanité forme malgré tout un bloc, une unité, et qui se comprend. »
Henri Michaux

 

Le rêve contient en lui tous les paradoxes, l’infini impalpable et gorgé de désir qui nous permet d’atteindre toutes les libertés sans limites. Là, temps, corps, espace se définissent dans un autre rapport que celui que nous connaissons dans la réalité. Mais les songes sont volatiles, ils se dispersent une fois le dormeur éveillé. La littérature, quant à elle, explore la carte des possibles, conjure cette volatilité en s’emparant des rêves et les fixe, les ancre solidement dans les caractères du texte. Peu importe comment elle les transforme, elle leur donne le pouvoir d’exister en tissant des correspondances entre les deux mondes.

Comme l’écrivait mon amie, Monique Le Pailleur sur son blogue Eclectico, «vous savez sans doute que l’OuLiPo se situe au carrefour de la littérature et des mathématiques, et que ce groupe de recherche propose d’appliquer des règles précises pour générer de nouveaux textes ou intervenir dans les textes déjà existants afin d’en activer les potentialités latentes.» Elle soulignait aussi l’idée que l’«on croit souvent à tort que la littérature repose sur la prétendue inspiration, alors qu’il s’agit fréquemment d’un jeu d’orchestration des possibles qui surgissent parfois de curieuse manière.» C’est dans la même optique que je vous propose un nouveau jeu twittéraire pour explorer une nouvelle manière d’écrire : jouons avec les rêves qui dorment en nous.

Pour participer à ce jeu littéraire, il faut donc :

1. Rêver
2. Écrire ce rêve sur une feuille de papier.
Par exemple : le Canadien gagne la cinquième partie des séries* 🙂
3. Prendre les lettres utilisées dans la phrase en question, soit pour cet exemple : les voyelles AEIU et les consonnes CDGLMNPQRST ou toutes les lettres si vous le désirez en les répétant autant de fois que dans la phrase. Moins il y aura de lettres, plus le défi sera difficile.
4. Copier la phrase dans un anagrammeur ou encore les lettres dans un outil de Scrabble ou encore Antidote. Il existe beaucoup d’outils en ligne pour soutenir votre inspiration. J’aime bien l’anagrammeur expert car il permet d’écrire une phrase au complet
5. Sélectionner des mots dans la liste produite par les outils
6. Écrire une phrase avec ces mots
7. Publier sur Twitter avec la balise #JaiUnReve

 

Dans ce défi d’écriture, contrairement aux autres productions twittériennes d’inspiration oulipienne, il ne s’agira pas d’écrire une histoire en chaîne nécessitant la prise en compte des tweets précédents puisque chaque tweet est lié à un rêve personnel. Il n’est pas non plus nécessaire de produire un twoosh (tweet parfait de 140 caractères pile-poil).

Je vous invite donc à écrire au gré de vos rêves en espérant que vous y trouverez une occasion de vous dégourdir l’imagination et de vous amuser à recréer vos rêves dans d’autres mots.

* En cette soirée spéciale où j’espère vraiment une victoire du CH, on pourrait s’amuser à écrire d’autres tweets à partir des lettres de cette phrase.

Crédits Illustration :

Danièle Jauvat – 19 – Rêve de lune

  • Technique : Aquarelle
  • Dimensions : 100 x 100 cm

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Impressions de vacances

8 août 2014

«Tout seul, on va plus vite,

ensemble on va plus loin !»

Proverbe africain

C’est l’été, et qui dit été dit entre autres vacances, voyage, dépaysement, découverte, aventure et repos. Durant ces deux mois d’été, nous aurons collectionné de belles images, respiré des parfums insolites, fait des rencontres nouvelles ou des retrouvailles, goûté des saveurs multiples, vécu des petits moments, drôles ou tendres ou émouvants, mais sans aucun doute intemporels car ils resteront gravés quelque part dans nos mémoires, intimes témoins passagers de cet été 2014…

Comme le disait ici, ma chère et regrettée amie Monique Le Pailleur, «l’une des forces de la collaboration facilitée par  les réseaux sociaux (qu’il s’agisse de Twitter ou de Facebook) m’apparaît  être la fusion des imaginaires collectifs et la mise en commun des talents de chacun.» C’est dans l’espoir de créer le plus beau récit de l’été 2014 avec l’apport de chacune de vos histoires personnelles, que je vous invite à partager sur Twitter un souvenir de votre été 2014. Au fur et à mesure des publications, j’établirai une carte pour rendre compte de nos tribulations estivales. Contrairement aux autres récits écrits en collaboration, il n’importe pas de tenir compte des tweets précédents figurant sur le fil de Twitter. L’important ici est de partager à l’ensemble de la communauté un souvenir et que celui-ci devienne l’élément d’un récit-mosaïque qui se coconstruira simplement par l’ajout de vos gazouillis les uns à la suite des autres sous le mot-clic #TwtVac.

Comme la rentrée scolaire au Québec est le 25 août pour la plupart des enseignants, je nous donne jusqu’à cette date pour publier nos tweets.

 

Les consignes :

1. Le tweet doit inclure une photo du moment que vous désirez partager.

2. Le tweet doit impérativement comporter dans le message qui accompagne la photo les lettres du mot ÉTÉ et ce, en hommage aux jeux littéraires oulipiens.

3. Le tweet doit inclure la balise #TwtVac

4. Le tweet doit inclure la mention du lieu. Vous pouvez soit l’inclure dans le tweet, soit utiliser la géolocalisation sur Twitter, soit me la mentionner en MP.

5.. Le jeu s’achèvera le 24 août 2014 à minuit (heure du Québec) et vous serez prévenus de la fin du projet sur Twitter. Le texte coproduit sera ensuite  finalisé et publié sur mon blogue.

 

Je souhaite ardemment que ce défi «poéticovacancier» vous intéresse. Je vous rappelle qu’il suffit d’une seule collaboration pertinente pour faire partie du collectif d’auteurs et que votre pseudo Twitter figurera à la fin du récit que vous aurez permis de créer.

Alors, ça vous tente de plonger avec moi et de réussir à nous étonner les uns les autres ? Si vous y consentez, je vous attends avec joie sur #TwtVac. Le voyage est déjà commencé…

 

 

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Lettre ouverte à Monsieur Loys Bonod

12 décembre 2013

« À quoi ça sert un prof? Ça sert à rendre pertinent ce qui ne serait que vrai.»

Fernand Dumont

Ce billet est en réponse à l’exégèse écrite par Monsieur Loys Bonod dans le forum de son blogue à propos d’un de mes billets publiés à l’occasion d’une «amusante expérience qu’il a menée sur le Web.

 

 

Bonjour Monsieur Bonod,

Avant tout, permettez-moi de n’avoir pas rappelé dans le détail votre «expérience» puisqu’un hyperlien dans mon billet menait directement à la page où vous expliquiez vous-même très clairement ce que vous aviez fait. Il me paraissait superflu d’en rajouter.

 

Premièrement, je sais très bien ce qu’est un commentaire de texte. J’ai suivi un cursus scolaire en France. C’était il y a longtemps, mais je suppose que ça n’a pas dû évoluer beaucoup depuis que j’ai quitté le pays puisqu’il existe encore dans la même mouture l’examen oral du baccalauréat de français d’après ce que je lis . Sauf qu’aujourd’hui c’est 25 ans plus tard la même épreuve. 25 ans… Quand même…!

 

Deuxièmement, il n’existe pas dans la sanction des études au Québec d’épreuve de lecture telle celle du commentaire de texte, une épreuve d’écriture permet d’obtenir le DES au terme de cinq années de secondaire. La lecture est évaluée par l’enseignant ainsi que la communication orale.

 

Troisièmement, je pense que le savoir a tout à voir avec n’importe quelle appréciation et interprétation de texte ou d’oeuvre, sinon sur quoi se baser pour commenter? Quels sont les critères qui nous permettent de justifier, d’argumenter, d’expliquer?

Les connaissances n’ont aucun rapport au savoir? Je me souviens de mes cours de lycée : la prof nous donnait SON analyse, SON commentaire composé, Sa lecture du texte et nous les apprenions par coeur pour le bac de français. À part exercer ma mémoire, je ne suis pas certaine que cet exercice ait développé ma capacité à analyser personnellement un texte. Alors oui, je conteste la pertinence de l’examen pour valider des compétences en lecture. Mais je ne vous tiens pas responsable du choix des épreuves qui sanctionnent les études en France! Ce qui m’afflige par contre à vous lire, c’est que vous avez l’air de justifier votre présence auprès de vos élèves seulement pour cette épreuve. Votre enseignement est destiné à leur faire passer un examen! Personnellement, je n’ai jamais vu mon rôle ainsi quand j’enseignais, en ZEP en France et ensuite au Québec.

 

P. 33 du PFEQ 2e cycle du secondaire

Poser un regard critique sur des textes courants et littéraires en appliquant des critères d’appréciation

Les élèves ont à observer les écrits sous plusieurs angles pour juger d’un propos ou pour commenter des façons d’écrire. Ils continuent à apprendre à tirer profit de leurs expériences, de leurs connaissances et de leurs repères culturels (œuvres lues, auteurs reconnus dans la communauté scientifique ou littéraire, stéréotypes, etc.) pour élaborer des critères et juger, par exemple, de l’intérêt ou du pouvoir d’évocation d’un passage, de l’originalité du traitement du sujet, de la solidité d’une hypothèse ou de la crédibilité d’un auteur. En confrontant leurs appréciations avec celles de leurs pairs et en prenant connaissance de commentaires de spécialistes ou de critiques, ils en arrivent à relativiser leurs jugements et à les formuler de façon nuancée. Cette famille de situations sert d’assise et de passerelle entre l’information et la littérature et, à l’aide de critères, elle permet d’apprécier aussi bien des textes courants que littéraires. Les critères que les élèves élaborent, d’abord avec le soutien de l’enseignant, puis avec de plus en plus d’autonomie, tiennent compte des indications fournies à l’égard de la qualité des textes et des œuvres dans le tableau du répertoire personnalisé.

 

De plus, je suis contre les corrigés en ligne, pas en ligne, en fait peu importe où ils se trouvent. Je suis pour qu’un élève fasse preuve de jugement critique en discriminant dans les sources à sa disposition celles qui seront les meilleures pour qu’il construise sa pensée et donne du sens à ses propos. Si j’avais à enseigner en France, je me servirais de ces corrigés en ligne comme exemples pour montrer à mes élèves comment tirer partie de leur répertoire personnel de connaissances et de repères culturels. Je leur apprendrais à les crititquer et à les commenter avec leur propre interprétation élaborée sur des critères précis. Je leur apprendrais l’autonomie et la confiance parce que ça en prend aussi de la confiance pour se prononcer sur un texte résistant voire hermétique quand ce n’est pas hors de leur portée comme le texte baroque que vous aviez soumis à vos élèves. Mais comment nos élèves peuvent-ils apprendre à le faire si personne ne le leur apprend?

 

PFEQ p. 1

L’enseignant doit les amener à établir des liens entre les apprentissages qu’ils font dans des situations diversifiées, à choisir les démarches les plus appropriées et à prendre l’habitude de réinvestir leurs acquis dans un large éventail de contextes scolaires et extrascolaires. Il doit également les amener à trouver un juste équilibre entre les ressources documentaires et littéraires de la bibliothèque, les rencontres avec des personnes qui exercent différentes fonctions et l’utilisation de l’ordinateur et d’Internet.

 

«Le mot n’est pas le sens», dit souvent Britt-Mari Barth. Ainsi, Web 2.0 ou web social renvoie à un concept bien précis, car il existe aussi le web 1.0 (web passif) et le web 3.0 (web sémantique) désormais. J’ose espérer que vous connaissez la différence sinon il y a Wikipedia http://fr.wikipedia.org/wiki/Web_2.0 D’autre part, le fait d’utiliser l’expression ne confère aucune expertise technopédagogique! Cela vise simplement à préciser dans quel paradigme on se situe.

 

Ce qui doit s’imposer à l’école, c’est une révolution de la façon d’enseigner et d’apprendre. En cela, les outils du 2.0 apportent un soutien. Ils ne sont pas la finalité. Ils ne sont que des outils comme tant d’autres outils qui ne sont pas technologiques pour mieux développer des compétences en lecture, en écriture et en communication orale, pour acquérir des connaissances, construire sa vision du monde et son identité.

 

Vous trouvez mes propos diffamatoire parce que j’emploie des termes comme «manque d’éthique» ou encore «malhonnêteté intellectuelle». Cependant,  ce sont ceux-là précisément qui conviennent à votre geste parce qu’il existait bien d’autres façons, et constructives, et engageantes pour faire prendre conscience du problème à vos élèves. Nous sommes tous confrontés au phénomène du copier/coller car l’information est très accessible. Cela induit que notre rôle d’enseignant doit tenir compte du contexte dans lequel nous enseignons. Le nier, c’est nier la société, le monde, le rapport au monde qui inclut le rapport au savoir, car l’école a pour mission d’y préparer nos jeunes.  Au Québec, les enseignants possèdent un référentiel de compétences professionnelles. Je vous invite à prendre connaissance de la compétence 12 Agir de façon éthique et responsable dans l’exercice de ses fonctions.

 

D’autre part, j’ai relaté l’expérience de la prépa littéraire pour souligner l’absurdité de l’exercice qui m’était imposé à moi et aux autres. C’était un exemple, vous savez le procédé qu’on utilise comme étayage dans une lettre d’opinion. Je ne sais pas si vous êtes passé par le tordeur des classes préparatoires. Moi oui! Je me souviens des techniques de survie que nous (je dis bien NOUS, car je n’étais pas la seule à user de stratagèmes pour survivre au rythme et aux exigences. Personne ne dort en classes prépa sauf le matin dans les cours de philo pour rattraper quelques heures de la nuit passée à bûcher!) Pour preuve cette lettre écrite par une jeune normalienne récemment. J’aurais aimé que cet enseignant de latin au lieu de nous bombarder de textes à traduire sans aucun soutien nous modélise comment faire une bonne traduction, nous fasse comparer des traductions et nous montre pourquoi telle ou telle traduction était meilleure qu’une autre. Au bout du compte, j’aurais sûrement été capable de traduire par moi-même en y trouvant du plaisir, car j’aurais développé une confiance en mes capacités qui m’aurait détournée de l’envie de chercher ces aides dans les traductions retirées du circuit par ce prof si bienveillant et si déterminé à m’apprendre à penser… SEULE!

 

Les élèves n’ont pas davantage raison de tricher que vous avez le droit de les piéger. Éduquer, ce n’est pas ça. Je ne cautionne pas leur attitude, je la trouve simplement justifiée vu le contexte peu signifiant de la tâche pour eux. Il faudrait questionner la pertinence de maintenir l’examen tel qu’il est et vérifier ce qu’il valide pour vrai… À mon sens, certainement pas la capacité à lire.

 

Le web ne pousse personne à faire quoi que ce soit. Vos élèves trouvent des réponses en ligne parce que les questions qu’on leur pose sont «googlables»! Elles ne sollicitent ni leur créativité ni leur jugement critique. Posez une question dont la réponse demande recoupement d’informations, décryptage de l’inférence, analyse des énoncés, des objets, comparaison, etc. Bref, cela. Vous verrez la différence!

 

Dernière précision : j’ai travaillé à la validation des programmes de français et à la progression des apprentissages au Ministère de l’Éducation du Québec. J’ai ensuite travaillé à l’implantation et l’accompagnement dans le milieu de ces documents ministériels prescriptifs. Les exemples que je citais de nos programmes de français sont des exemples en contexte d’apprentissage et non d’évaluation.

 

Enfin, je me considère encore une élève, encore une apprenante active dans une communauté d’apprentissage qui est connectée par la technologie et qui s’alimente grâce à la technologie. Je n’ai jamais autant appris que depuis que je suis en réseau avec des centaines de professeurs à travers le monde et je travaille chaque jour à ce que ce réseau s’aggrandisse, se solidifie et joue un rôle dans la réussite des jeunes qui nous sont confiés.

 

Nathalie Couzon

 

 

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Bélitre, la licorne ailée

21 mai 2012

 

«Ce qui me tourmente ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.»

Antoine de Saint-Exupéry, Terre des Hommes


Là-bas, le soleil luisait faiblement, avalant habilement les lendemains lumineux, éliminant lentement les coquelicots flamboyants. Bélitre, la licorne ailée, glanait les pétales éparpillés, blasons ridiculisés, banalisant l’idéal humilié. Elle voulait s’envoler malgré la pluie assaillant les fleurs, malgré l’averse folle balayant l’horizon.

Mélancolique, le légendaire animal larmoyant lorgna la lugubre vallée. Vallée délavée, dévaluée lamentablement… Elle loua la misérable foule, laquelle alléguait la liberté, leur ultime citadelle, leur valeur fondamentale : foule alimentée d’élixir annihilant la sollicitude. Foule florale enflammée, mobilisant les luttes individuelles éclatées parallèlement. Foule colorée applaudissant les défilés silencieux, implorant la libre parole. Lorsque les limites délimitent l’indicible, l’insoutenable, l’insupportable, lorsque le silence jaillit éloquent, alors le mal profilé libère les effluves translucides écarlates. Le bouillonnement refoulé s’emballe, la turbulence, les exhalaisons troublantes s’amplifient. La salamandre tourbillonne…libre!

Habituellement, les licornes plaisent, jolies porcelaines pastel alignées là, raisonnables, disciplinées, gentilles. Ailleurs, la littérature liquide longe les lignes, grappille les livres, coule silencieuse, délivrant les labiales. L’abeille lutine la fleur accueillante. Légère, habile, elle longe les allées exaltantes, ballerine laborieuse, vestale fidèle. L’âme légère, elle oscille continuellement : lundi vilipendant les libéraux, la veille les plébiscitant, le lendemain les glorifiant.

Hélas! La libellule libéra les libertines lucioles desquelles elle tolérait les ailées galipettes. Symbolisant la douleur lancinante, Bélitre exaltée, allumeuse, enlevante, survola lentement la foule délirante. Le long long lombric lui longeant le ciboulot délabré, la lionne lacéra, limogea, pulula telle la pustule labourant l’ensemble… Les labradors lâchés hurlèrent les litanies imbéciles oblitérant les licences particulières. Plusieurs illustres hurluberlus zélés hélèrent la diligence allégorique, litote liberticide liant l’engeance illuminée légalement. Les loups, allaités d’illicite levure léonine carillonnèrent l’hallali isolant les lucioles lucifériennes.

Bélitre, la docile écolière mélancolique, consulta l’oracle blasé. Elle lisait, éberluée, la loi spéciale légiférée selon laquelle la liberté semblait éliminée. Les louches mégalomanes appliquaient aveuglément leurs lubies loufoques. Lire : «L’oligarchie nouvelle pénalisera lourdement la loyauté, le leadership, la solidarité voulant éliminer les luttes inégales. Postulats liminaires : Silence obligatoire. Parole muselée. Lutteurs molestés. Idéal lapidé. Logistique impeccable, infaillible.»

Les boucliers altiers alimentaient la colère :«Allez, circulez! Inclinez la colonne! Déclinez appellation, qualité, domicile!»

Le peuple ligoté hurlait, larmoyait. Téléguidée, implacable, la sentinelle laissait le matériel militaire parler… Plus loin, le silence pulvérisait lamentablement la lâcheté labourée d’illusions.

«Licorne, belle licorne, enjolivant la lune laiteuse, circule librement, enlace allègrement le levant, lévite, enligne le littoral, localise les arc-en-ciel, cultive l’espoir ! Cajole les étoiles blessées. Console les coquelicots. Siffle délicatement la mélodie câline, laquelle calme les tumultes!»

Le lendemain, la licorne Bélitre héla Gétalié licorne mâle, libre, légendaire, ailé également. Ils élevèrent leurs silhouettes. Les tournesols délaissés redoublèrent d’allégeance. Les chenilles limicoles délièrent leur langue.

«Bélitre, Gétalié, libellez les liaisons libérables, linéarisez les lignes égalitaires.»

Bouleversé, le couple licornien s’enflamme, mobilisant illico la foule animalière, la floraison estivale, les élans d’absolu. Ils allument les lampadaires, habillent les boulevards, fleurissent les palais, reculent les limites, sollicitent le meilleur. Ils déplacent les cumulus, éclairent la lune, frôlent les étoiles… Finalement horripilent les Immortels Olympiens mythologiques!

Lanternes, lampions, lucioles illuminent le couple ailé. Ils batifolent, folâtrent, libèrent les larmes sublimes. Mille lapis-lazulis emplissent le lagon limbique.

Jalousant le couple chevaleresque, les Olympiens sollicitèrent violemment la pluie diluvienne. Leurs ailes mouillées lestèrent les licornes. Alors, lentement, les loyales licornes libèrent leurs sanglots longs. Le violon automnal lance les allitérations plaintives. Musicalité, lyrisme verlainiens … Les Olympiens larmoient, louent les belles licornes.

Las, les Olympiens laissent les licornes là. La liberté luit alors; les limbes lentement s’éloignent. La lame écarlate tel le déluge souffle les palissades. La pluie lave les hostilités. Le soleil luit. Réconciliation possible?

«La clepsydre laissera écouler la temporalité diluée, l’oubli écartèlera les lobes mémoriels », déclara Gétalié illuminé.»

«La liberté délie les langues,  lança Bélitre. Abolies, les fables, les balivernes ! Parlons, dialoguons ! La parole libère la colère, verbalise les douleurs, abolit les conflits.»

 

COLLABORATEURS (par ordre d’implication)

@nathcouz @Aurise @georgesgermain @GilbertOlivier @Ecot_du_Silence @WinCriCri @verodamours @Aunryz @CarineNaudin @slyberu @cduret @Alex_Acou @tweetsynat

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Bélitre : nouveau défi de Twittérature

20 mai 2012

La twittérature est l’espace de tous les possibles. Mon amie, Monique Le Pailleur (@Aurise) sur Twitter a déjà proposé plusieurs aventures oulipiennes qui ont connu un vif succès. De concert avec elle, en ce beau congé des Patriotes, je vous invite à revisiter une autre figure de style, l’allitération, comme contrainte d’écriture.

Vous connaissez sans doute le célèbre vers prononcé par Oreste dans Andromaque «Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?». L’harmonie créée par la répétition de la consonne S accroît la musicalité des effets sonores. J’imagine la portée musicale d’un texte qui s’appuierait sur la répétition d’une même consonne dans chacun des mots du texte. Il me semble qu’un récit construit avec cette contrainte donnerait lieu à des trouvailles fort intéressantes.

Êtes-vous prêts à le relever?

Si oui, vous êtes conviés dès maintenant à coconstruire un texte suivi, dont tous les mots comportent obligatoirement la consonne L, selon le principe d’une histoire en chaîne, en inscrivant simplement vos gazouillis les uns à la suite des autres, mais surtout en tenant compte des gazouillis précédents pour maintenir la cohérence textuelle du récit en coconstruction.

 

 

Vous pourrez suivre l’avancement du texte sur Twitter sous le mot-clic #avecdesL et je publierai le texte au fur et à mesure en tant réel ici même.

J’espère que vous trouverez plaisir à ce jeu littéraire. Il vous suffit de  produire un seul gazouillis pour être reconnu  comme l’un des collaborateurs lors de la publication de cet écrit collectif.

Alors, comme l’alouette, gazouillons librement!

 

Voici le début :

Bélitre

Là-bas, le soleil luisait faiblement, avalant habilement les lendemains lumineux, éliminant lentement les coquelicots flamboyants. Bélitre, la licorne ailée, glanait les pétales éparpillés, blasons ridiculisés, banalisant l’idéal humilié.

 

 

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Trahison?

1 mai 2011

La semaine passée, j’ai eu l’immense bonheur d’assister au Théâtre de la Bordée à Québec à la représentation d’une pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, intitulée Variations énigmatiques. C’est une pièce admirable en tous points et la critique n’a pas manqué de saluer la performance des comédiens, la mise en scène, le texte profond, drôle, juste, percutant, ciselé comme un diamant précieux par le dramaturge que j’aime beaucoup. Je regrettais que ma mémoire ne soit pas capable d’enregistrer en simultané certaines répliques. J’ai donc couru à la librairie le lendemain pour me procurer le texte et pouvoir à nouveau le savourer. Et que dire de l’émotion qui s’harmonise avec la musique d’Elgar qui joue en filigrane? Un pur bonheur!

J’ai été extrêmement touchée par plusieurs passages. Le premier se situe au début de la pièce alors que le journaliste Érik Larsen tente de tirer les vers du nez à l’écrivain Abel Znorko à propos du personnage féminin de son dernier roman, L’Amour inavoué. Larsen veut absolument que cette femme ait existé, ce qui fâche l’écrivain qui lui rétorque violemment : «Je suis un écrivain, pas une photocopieuse.» (p. 24, Éd. Albin Michel) et qui sort de ses gonds quand l’autre insiste : «Est-ce que le talent d’un romancier n’est pas justement d’inventer des détails qui ne s’inventent pas, qui ont l’air vrai? […] La littérature ne bégaie pas l’existence, elle l’invente, elle la provoque, elle la dépasse, Monsieur Larden.» (p.26-27)

Pourquoi toujours vouloir, comme ce journaliste, que la fiction soit un calque de la réalité? Pourquoi vouloir que le roman soit un documentaire? Pourquoi préférer la vérité au mensonge? Cette vérité, qui se reconnaît, selon les mots de Znorko, à son indélicatesse, car elle se limite à ce qui est alors que «le mensonge est pour sa part délicat, artiste et énonce ce qui devrait être

Je reconnais au lecteur des droits : dans les Limites de l’interprétation, paru en 1991, Umberto Ecco s’interroge d’une part sur le concept de l’interprétation et d’autre part sur la possibilité d’interpréter. Ainsi, dit-il, il faut trouver des limites à l’interprétation pour qu’elle soit possible sinon on risque de faire dire tout et n’importe quoi au texte. Ainsi, il va de soi qu’un texte peut susciter de multiples voire d’infinies lectures, mais il n’en valide aucune exclusivement. Pour ma part, j’en conclus que si le lecteur a des droits, il n’a pas celui d’outrepasser le sens du récit, de le tordre, de le pervertir, de le dénaturer.

Znorko subit le problème de l’illusion référentielle. Le lecteur réaliste est tenté- et succombe souvent à cette tentation – d’amalgamer le réel et la fiction. Znorko a donné son nom à son personnage. Assumant la narration, il écrit à la première personne. Il habille son double homonymique de sa personnalité, de son vécu, de son accent. La réalité du récit laisse la place à un semblant de vraisemblance qui enferme le personnage dans une représentation véridique. Et c’est là que le dérapage peut se produire : comme le note Michel Tournier dans Le Vol du Vampire : « Lorsque l’écrivain publie un livre, il lâche dans la foule anonyme des hommes et des femmes une nuée d’oiseaux de papier, des vampires secs, assoiffés de sang, qui se répandent au hasard en quête de lecteurs. A peine un livre s’est-il abattu sur un lecteur qu’il se gonfle de sa chaleur et de ses rêves. Il fleurit, s’épanouit, devient enfin ce qu’il est : un monde imaginaire foisonnant, où se mêlent indistinctement – comme sur le visage d’un enfant, les traits de son père et de sa mère – les intentions de l’écrivain et les fantasmes du lecteur. (Michel TOURNIER, Le Vol du Vampire. Notes de lecture, Mercure de France, 1981, pp. 10-11.)

Mais Znorko, personnage du roman n’est pas Znorko, l’écrivain. Il est un Znorko «emmieutté», Rimbaud dirait : «Je est un autre.» Et même si au terme de la pièce, on découvre que la trame du roman s’inspire de sa vie, pourtant c’est bien plus que lui qui s’est manifesté dans ces lettres qui sont devenues le roman, c’est son idéal qui s’y est exprimé. C’est ce qu’il n’a jamais voulu vivre, qu’il a toujours fui et qu’il a fait exister en créant ce sublime mensonge pour ne pas s’embourber dans la vie.

« Ce travail de l’artiste, de chercher à apercevoir sous de la matière, sous de l’expérience, sous des mots, quelque chose de différent, c’est exactement le travail inverse de celui que, chaque minute, quand nous vivons détournés de nous-mêmes, l’amour-propre, la passion, l’intelligence, et l’habitude aussi accomplissent en nous, quand elles amassent au-dessus de nos impressions vraies, pour nous les cacher entièrement, les nomenclatures, les buts pratiques que nous appelons faussement la vie. » dit Marcel, le narrateur créé par Marcel Proust, l’auteur de À la recherche du temps perdu dans Le temps retrouvé.

Alors, quand Larsen reproche à Znorko avec beaucoup de véhémence son obscénité parce qu’il a révélé au monde entier quinze ans d’intimité en publiant leurs lettres et en ne changeant que le nom d’Hélène pour celui d’Éva Larmor, Larsen se trompe. Si la réalité rencontre la fiction, elle s’en dissocie aussi.  Le monde n’a pas vu Hélène dans Éva. Le monde n’a pas vu Znorko dans Znorko. Le monde a vu  la correspondance amoureuse entre un homme et une femme. Une histoire d’amour passionnée, sublime, sublimée par la séparation et l’absence : «Lorsque nous nous jurions de nous aimer «toujours,» je voulais que ce «toujours» dure vraiment toujours. Je sais que les passions les plus intenses se promettent l’éternité mais que, généralement, l’éternité passe vite.» dit Znorko. C’est cela que le monde a vu. Rien d’autre.

En réalité, à bien y réfléchir, Larsen ne reproche pas à Znorko d’avoir étalé publiquement la vie d’Hélène. Il lui reproche de lui avoir enlevé le subterfuge qui lui permettait de la maintenir en vie en publiant le roman.

Je suis comme Znorko. C’est pour cette raison que j’ai été touchée par ses propos. Beaucoup de mes récits sont écrits à la première personne et souvent le personnage principal est une femme. Conclure simplement à l’équation rapide et facile que je suis ces femmes et qu’elles sont moi me met mal à l’aise. Elles sont moi et les autres qui laissent leur empreinte sur mon chemin. Elles sont moi et quelque chose de plus, ou moi en devenir, mais je ne le sais pas, enfin pas encore et peut-être même ne le saurai-je jamais. Elles ne sont pas moi du tout, aussi.

Alors qu’est-ce qu’écrire?

Partir de soi, aller plus loin, se perdre de vue, enfanter l’inconnu, atteindre une autre vérité.

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Réussite scolaire et compétence, un autre point de vue

7 mars 2011

«Comparaison n’est pas raison», dit l’adage populaire. Je vais pourtant commencer par une comparaison parce que le passé peut nous éclairer ou nous donner certains arguments pour mieux réfléchir.

Vers 1450, Gutenberg invente l’imprimerie. En 1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique. La même année, De Vinci dessine l’homme de Vitruve. En 1508, Michel-Ange débute la fresque du plafond de la Chapelle Sixtine et, pendant plus d’un siècle, les souverains français érigent des châteaux fabuleux dans la douceur angevine chère à Du Bellay. Il y a cet imaginaire romantique et merveilleux qui entoure la Renaissance et il y a surtout une époque exceptionnelle dans l’histoire de l’humanité, temps de grandes découvertes, temps de mutations importantes qui redéfinissent les limites du monde connu et le placent en rupture avec le passé médiéval : progression des connaissances et des méthodes scientifiques, innovations technologiques, découverte de civilisations et de peuples inconnus, représentation nouvelle de l’espace physique, nouvelles donnes économiques et politiques, accélération des échanges, émergence des langues nationales, guerres de religion, etc. Le monde est changeant, le monde n’est plus plat, le monde est autre. Certains comme Montaigne, comme Rabelais, pour ne citer que deux grands penseurs de la littérature française, en profitent pour réfléchir à la place de l’homme dans ce grand brouhaha. Sensibles à la variation, au mouvement perpétuel des choses et des pensées, ils s’interrogent. Vous me voyez venir avec mes gros sabots? Ils se questionnent entre autres sur l’éducation, sur la cohérence du système en place. Que faut-il enseigner? Comment le faire? Quelles sont les pratiques pédagogiques pertinentes? Comment intégrer l’école à ce monde qui n’a rien de commun avec ce qu’ils ont connu, ce monde qui devient sous leurs yeux?

Aujourd’hui, cinq siècles nous séparent de la Renaissance et ce que nous avons en commun avec cette époque, ce sont les profonds changements que nous vivons et les questions que nous nous posons sur ce qui doit être réalisé, ajusté, modifié, conservé pour ne pas aggraver les tensions et enclencher une rupture radicale voire un séisme avec ce monde qui n’attend pas, lui! Je me suis déjà penchée sur la question de l’urgence de réagir à mon retour de Clair2011. Ce matin, en lisant l’opinion d’un prof de français, publiée il y a quelques jours, je poursuis ma réflexion. Je pense que cet enseignant se trompe de cible, comme bien d’autres avant lui d’ailleurs, dans son analyse des faits et de la situation. J’aimerais simplement nuancer ses propos et apporter certaines corrections dans le dossier très chaud de la réussite scolaire.

Il y a un malaise certes, mais le malaise vient de comparer une réforme à une solution miracle. Le malaise vient d’attendre une décision ministérielle pour espérer un changement. Le malaise vient de considérer le renouvellement des pratiques pédagogiques comme des tendances – à quand le défilé des pédagogues? Le malaise vient de colporter des préjugés, des propos sans fondement, des lieux communs, démagogiques sous prétexte qu’on est un enseignant d’expérience et qu’on sait comment ça se passe dans le milieu, alors on sait de quoi on parle quand il s’agit d’éducation, sous prétexte qu’on est des parents et qu’on sait ce qui est bon pour nos enfants, alors on sait de quoi on parle quand il s’agit d’éducation, sous prétexte que, dans le temps, on écrivait mieux, alors on sait…. , sous prétexte qu’avant c’était pas mal mieux que maintenant, alors… sous prétexte que… Alignez-en des raisons pour avoir le droit à la tribune en matière d’éducation : elles sont toutes bonnes…

Pour ma part, j’ai une autre opinion, bien différente de ces discours négatifs, toujours identiques d’ailleurs, désignant toujours les mêmes responsables, à croire qu’il y a une sorte de police secrète destinée à relancer des débats stériles pour ne pas parler des vraies affaires. Alors, permettez-moi de renverser la vapeur parce que j’en ai plus qu’assez que soit valorisé ce genre de discours plutôt que les bons coups, les réussites, l’accompagnement et la réflexion pédagogiques de très haute qualité réalisés par des professionnels engagés et compétents et, supportant le tout, la plus-value qu’apporte une bonne compréhension des programmes et des documents ministériels comme la Progression des apprentissages.

Comme des recherches universitaires à l’échelle internationale se préoccupent des facteurs de réussite scolaire et que ma communauté (merci Twitter) me nourrit constamment des nouveautés en la matière, je me permets d’utiliser leurs conclusions qui, n’en déplaise à tous les détracteurs de la réforme et du changement en général, réfutent un par un les points avancés par Monsieur Lévesque dans son billet.

D’une part, depuis 1989, les statistiques et les études, partout dans le monde, prouvent que le redoublement n’a jamais été une solution efficace d’où la motivation de penser les apprentissages en terme de progression sur des cycles et de compétences transversales entre les disciplines et non en contenus enfermés dans des silos non-communicants.

D’autre part, même si on a fermé la grande majorité des «classes spéciales», en intégrant les élèves à besoins particuliers dans des classes régulières, on a créé d’un autre côté des programmes particuliers (PEI et autres parcours spéciaux contingentés par les résultats académiques) qui excluent les élèves en difficultés, recréant ainsi un système à plusieurs vitesses. On constate alors des écarts démesurés dans les écoles sur un même niveau, ce qui rend encore plus complexe et moins équitable la tâche des enseignants obligés de composer avec des réalités extrêmement différentes d’un groupe à l’autre, sans pour autant être suffisamment outillés pour y faire face. Enseigner selon un modèle, c’est une utopie,  car l’enseignement doit s’adapter à tous, et non l’inverse, et pour cela il faut accompagner les enseignants à négocier ces écarts, les aider à différencier pour donner aux élèves la chance de réussir.

Le clou du billet repose dans cette affirmation péremptoire qui tombe comme une condamnation implacable. Je cite : «Et on a mis en oeuvre la fameuse «réforme» qui a fait régresser les élèves, tant au niveau des connaissances acquises que des compétences, si on les compare aux élèves qui n’ont pas eu à subir cet autre changement idéologique.» Cependant, le 9 décembre 2010, ont été publiés les résultats de ces jeunes «réformés» aux tests du programme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) de l’OCDE en matière de réussite sur le plan international en lecture, en mathématiques et en sciences. Et pour faire un pied de nez à ceux qui attendaient l’occasion pour achever le renouveau pédagogique, nos jeunes du Québec se sont classés dans le peloton de tête : premier rang en mathématiques au Canada et deuxième dans le monde occidental, après la Finlande; 4e rang au Canada en sciences et 13e (sur 65 pays) à l’échelle internationale et, pour ce qui est de la capacité de lecture et de compréhension, un 6e rang au plan mondial et un 2e en Occident (toujours après la Finlande). Mais plus remarquable encore… le Québec se classe au premier rang dans le monde francophone, devant la France, la Belgique et la Suisse! Vous me direz que ces résultats ne valent rien, qu’ils évaluent d’une façon biaisée, qu’au bout d’une dizaine d’années de réforme, ces résultats ne prouvent qu’une chose, c’est la stagnation.  Toutefois, ce que ces résultats prouvent, c’est la fausseté de l’argument avancé par Monsieur Lévesque puisque nos jeunes ne sont pas moins connaissants ni moins compétents que ces générations bénies des dieux, celles d’avant les dommages du socioconstructivisme…

Autre mythe : celui de l’élève moyen, régulier… Ça existe? Faut-il comprendre ici qu’on recherche un type idéal d’élève, un joli moule dans lequel le maximum cadrerait? Est-ce la volonté de faire pareil pour tous sans tenir compte des différences de chacun ? Que tous fassent au même moment les mêmes tâches que propose un matériel didactique rarement remis en question, pour être sûr de ne pas s’égarer dans un programme dont on laisse à d’autres l’interprétation…?

Autre croyance : le programme serait la cause, le grand responsable du mortel ennui qui frappe les élèves dans nos salles de classe? «Ah, comme la neige a neigé», soupirent-ils en comptant les flocons… désespérés d’attendre que quelque chose de signifiant se produise… N’écoutant que mon courage, mue par une audace subite, je saisis donc mon programme : aucune torpeur, aucun engourdissement de mon esprit, aucun baillement…. serais-je insensible aux effets soporifiques des programmes de formation de l’école québécoise? Poussant l’audace un cran plus loin, je l’épluche page après page, et partout je trouve des indices pour m’aider à planifier l’enseignement et les apprentissages, autant d’éléments à articuler comme les familles de situations, les composantes de la compétence, les stratégies et les processus sollicités, les notions, concepts et repères culturels (ce sont trois mots synonymes de connaissances au cas où vous ne l’auriez pas deviné). Alors, quand je lis dans le programme de français, deuxième cycle du secondaire, à la page 17, les précisions sur le rôle de l’enseignant, à savoir «varier et différencier les approches en offrant des modalités de travail et des tâches qui stimulent l’intérêt, font appel à des stratégies différentes, tiennent compte des diverses façons d’apprendre et sollicitent la capacité d’adaptation des divers types d’élèves», en quoi cela est-il si différent que d’enseigner selon les besoins réels des élèves?

En outre, pourquoi opposer réussite scolaire et compétence, sous-entendant que le seul objectif des enseignants est de rendre les élèves compétents, instaurant une scission entre réussite scolaire et compétence? John Hattie, un universitaire néozélandais, a patiemment compilé pendant 15 ans plus de 50 000 études concernant des millions d’élèves et a publié en 2009 une synthèse de toutes ces méta-analyses dans laquelle il liste les facteurs qui influencent la réussite des élèves. Sans présenter de nouveautés intrinsèques, cette liste a le mérite d’identifier les pratiques dans les milieux scolaires. Elle permet aussi de faire la guerre aux discours de Pharisiens entendus dans la presse et certains salons du personnel scolaire. Il va sans dire aussi que privilégier une seule pratique de la liste ne suffirait pas à influencer la réussite du plus grand nombre, mais combiner plusieurs pratiques efficaces, avec l’appui de la formation et une réflexion partagée au sein d’une équipe pédagogique engagée, serait sans aucun doute le gage d’une amélioration des performances pour tous les élèves.

Voici les quinze pratiques les plus performantes :

  1. La mise en œuvre d’une évaluation formative
  2. La clarté du discours de l’enseignant
  3. La rétroaction apportée aux élèves
  4. Les relations entre l’enseignant et les élèves
  5. Les stratégies de méta-cognition
  6. L’auto-verbalisation et l’auto-questionnement des élèves
  7. Le développement professionnel des enseignants
  8. La résolution de problèmes dans la classe
  9. La mise en œuvre d’une stratégie pédagogique
  10. L’apprentissage coopératif entre élèves
  11. L’étude précise des compétences des élèves
  12. La séquence d’enseignement planifiée par étapes
  13. Le travail des élèves à partir d’exemples concrets
  14. La fixation d’objectifs précis aux élèves
  15. Le tutorat par les pairs dans la classe

Enfin, pourquoi recourir aux TIC, ces ressources qui sont prescriptives dans le programme pour développer les compétences, notamment en français, pour «trouver, valider et partager de l’information, pour concevoir, réviser et diffuser des productions orales et écrites, pour entrer en communication avec des destinataires authentiques et variés»? Bref, pourquoi faire de l’école un milieu qui soit en harmonie avec le monde dans lequel sont nés ces jeunes de la génération C? Pourquoi rendre signifiants leurs apprentissages et faire comme dans la vraie vie?  Pourquoi se questionner sur les pratiques pédagogiques quand les bonnes vieilles méthodes ont fait leurs preuves? «J’ai bien réussi, moi, alors pourquoi pas eux…?» Le recours aux technologies sert-il réellement à pallier des faiblesses, des incompétences, à biaiser la réussite de l’élève ou plutôt à prouver la capacité à mobiliser des stratégies et des ressources efficaces pour devenir compétent? Tandis que cellulaires, Internet, iPod, etc. sont maîtrisés dès leur plus jeune âge  par nos élèves, dois-je comprendre que le malaise qu’exprime cet enseignant est sa difficulté à maîtriser les TIC et à les intégrer de façon signifiante dans son enseignement? L’unique déchirure que je perçois, ce n’est pas le fossé entre les élèves, mais plutôt l’abîme entre l’enseignant et ses élèves…

En guise de conclusion, je terminerai sur une note positive parce que je suis très confiante dans ces jeunes que notre système forme. Je suis intimement persuadée que le cheminement qui leur est offert dans leurs parcours scolaires feront d’eux des adultes responsables et compétents, dotés de jugement critique, capables de douter et de remettre en question les pratiques éculées, considérant l’erreur comme un levier à l’apprentissage, au progrès de la connaissance et des savoir-faire et non comme une faute honteuse, des adultes ouverts à la nouveauté et capables de s’adapter aux changements, se servant de tout ce que le monde leur met entre les mains pour collaborer, partager, travailler, créer, soigner, inventer, réparer, penser, bref…  réussir.

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