«Miroir, joli miroir, dis-moi qui est la plus belle en ce pays?», questionnait chaque jour la méchante reine, marâtre de la si ravissante et innocente Blanche-Neige... «Hélas, disait la Belle, c’est bien dommage qu’elle soit si laide, elle est si bonne!»… !» Voilà deux histoires, deux contes pour enfants, deux fables où magie, prince et petits nains se côtoient, avec rien de bien méchant à part une pomme empoisonnée, un vilain gros monstre, une marâtre et des soeurs jalouses. Rien de bien méchant sauf la mise en scène des douleurs et des cruautés imposées par nos perceptions de ce qui est beau et a contrario de ce qui est laid, comme dans cet article de la Presse intitulé Le cruel destin des moches, que je lisais ce matin, en buvant tranquillement mon expresso, les cheveux en bataille, attifée comme la chienne à Jacques, sans artifices, bref comme n’importe quelle femme qui sort de son lit!
Cet article m’a dérangée parce qu’il a tout à coup éclairé mes attitudes et mes réactions devant le laid, cette laideur qu’Épiphane Otos, le personnage d’Amélie Nothomb, incarne avec tant de brio et de naturel qu’il s’est mérité le surnom de Quasimodo. On peut faire le tour des bibliothèques, des cinémathèques, des musées ou autres temples de la culture pour découvrir ce qu’est la beauté ou ce qu’elle n’est pas et pour comprendre la fascination qu’elle a exercée à travers les siècles dans l’imaginaire de l’Humanité, pour tenter aussi de se conforter – parce que c’est vachement moins pénible pour la conscience- dans l’illusion de ces grands principes très nobles que la beauté extérieure, ça passe, c’est futile, c’est pas ça l’important, que la véritable grandeur d’âme, c’est la recherche et la reconnaissance de ce truc qui est à l’intérieur, qui se cache là et qui est si, tant, tellement mieux que l’apparence… Mais il faut bien se l’admettre : ce qui est invisible pour les yeux, contrairement à ce que disait Saint-Ex, c’est pas vraiment essentiel… C’est tellement dur de savoir ce que c’est cette beauté intérieure qu’on n’a même pas de mot pour la nommer. On la décline avec des indéfinis, on ne perd pas son temps à la chercher, on passe son tour parce que, comme le chante Gainsbourg avec un cynisme coloré de rythmes reggae : «La beauté des laids, des laids, se voit sans délai…», et c’est juste celle-là qu’on regarde, qui fascine, qu’on juge, qui dérange, qu’on évite… même de côtoyer trop longtemps. On ne sait jamais : une tache, c’est tenace…
Alors, ce matin, en lisant cet article, je me suis trouvée moche, moche d’être comme tout le monde, moche d’avoir baissé les yeux ou détourné le regard devant ces ostracisés, d’avoir été captivée par leur laideur, mais incapable de leur montrer davantage d’humanité que dans le mépris de leur beauté, l’invisible, celle que je ne voyais pas parce que je ne voulais pas la voir, obnubilée par le reflet déformé de leur miroir… Mea culpa sans promesse de ne plus jamais faillir, à tous les vilains petits canards qui ont croisé mon chemin, je demande pardon.
J’aime l’araignée
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait ;
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait ;
Parce qu’elles sont maudites, chétives,
Noirs êtres rampants ;
Parce qu’elles sont les tristes captives
De leur guet-apens ;
Parce qu’elles sont prises dans leur oeuvre ;
O sort ! fatals noeuds !
Parce que l’ortie est une couleuvre,
L’araignée un gueux ;
Parce qu’elles ont l’ombre des abîmes,
Parce qu’on les fuit,
Parce qu’elles sont toutes deux victimes
De la sombre nuit.
Passants, faites grâce à la plante obscure,
Au pauvre animal.
Plaignez la laideur, plaignez la piqûre,
Oh ! plaignez le mal!
Il n’est rien qui n’ait sa mélancolie ;
Tout veut un baiser.
Dans leur fauve horreur, pour peu qu’on oublie
De les écraser,
Pour peu qu’on leur jette un oeil moins superbe,
Tout bas, loin du jour,
La mauvaise bête et la mauvaise herbe
Murmurent : Amour !
Victor Hugo, Les Contemplations, livre III, les luttes et les rêves, poème 27