La valise

28 septembre 2025

À JR M.

« L’amour n’est pas mesurable à ce qu’il fait. L’amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même. » Christian Bobin

Notre vie est un voyage et, quand sur notre route on croise quelqu’un, il est rare qu’il voyage sans bagage. Baluchon ou valise, ce n’est pas la taille du bagage qui compte, mais le contenu. La destination et la saison importent : Bali ou Moscou, juillet ou janvier, ce sera sûrement différent. On choisit donc ce qu’on emporte : l’utile, l’essentiel, le réconfort. Parfois, aussi, malgré nous, des choses qu’on aurait mieux fait de laisser derrière, parce qu’elles ne servent à rien sinon à peser sur nos pas.

Quand je t’ai rencontré, c’était l’été. Je revenais du Sud. Dans ma petite valise rouge : des tenues légères pour profiter du soleil et de la plage, de la crème solaire pour protéger ma peau de blonde, quelques romans pour délester l’esprit. Je ne l’avais même pas défaite. Dans ma chambre à Montréal, elle traînait, prête à m’accompagner partout. J’étais habituée à voyager ainsi et je n’avais même pas pensé à y ajouter quoi que ce soit… et puis, j’allais toujours dans le Sud. Le Sud, c’était ma destination familière, une lumière rassurante. Presque un refuge.

J’ai cru que ce bagage serait parfait pour ce nouveau voyage. Je croyais marcher encore sur mes sentiers battus. Toi, tu découvrais le sable chaud, la peau qui brûle sous le soleil, la langueur des journées de farniente. Tu prononçais mon nom d’emprunt comme une promesse d’exotisme. Ce nom t’inspirait, ta voix devenait chaude quand tu le disais et je sentais que c’était elle, la femme cachée derrière ce nom que tu désirais.

À l’hôtel, je n’ai pas douté. La valise était en tout point semblable : rouge, un peu usée, le même code secret. Alors je n’ai pas vu qu’elle n’était pas la mienne. Je l’ai ouverte sans méfiance, croyant qu’on pouvait s’aimer là librement.

Pourtant, plus les jours passaient, plus j’avais envie de partir avec toi ailleurs, de quitter le Sud pour découvrir d’autres climats, d’autres horizons. Je me suis prise à rêver. Et si… Et si… 

Mais tu m’as parlé de cette autre île où tu aimais aussi séjourner. Et là, j’ai compris que le voyage ne serait peut-être pas aussi simple que je l’avais imaginé.

J’ai sorti la valise rouge du placard. Quelque chose en moi murmurait qu’il ne faudrait peut-être plus autant de bikinis mais des choses qui changeaient ma façon de voyager : deux ou trois chandails, un pyjama confortable ou une doudou en prévision des soirées fraîches. Ce ne serait plus le Sud, mais un autre pays, un autre quotidien, une autre saison.

J’hésitais.

Mes doigts se sont crispés sur le plastique. Dans ma gorge, une boule dure bloquait ma respiration. J’ai fermé les yeux et posé une main sur ma gorge, là où ça serrait. Je comptais sur la chaleur de ma paume et sur le doux massage de mes doigts bienveillants pour apaiser la tension. Je sentais mon coeur cogner dans la boule qui ne lâchait pas. J’ai passé en revue toutes les techniques apprises au cours de yoga mais aucune ne semblait fonctionner. À coup sûr, je devais faire les trucs tout croche! Pourtant, l’autre fois, dans l’ambiance zen du studio, ça semblait facile…

Un petit cri a filtré de ma gorge encore serrée. Comme un déclic. Lentement , ma main tremblante a tiré sur le zip. Chaque seconde rallongeait le silence, au point où il prenait une densité affolante.

J’ai rouvert les yeux mais rien n’était familier. La valise rouge avait laissé place à une ancienne que je croyais avoir laissée loin derrière moi. Dedans, des doutes, des peurs, des illusions, des ombres que je croyais disparus. J’en ai senti le poids en même temps que la boule dans ma gorge grossissait et l’obstruait un peu plus. Alors j’ai rabattu le couvercle rouge sur ces fantômes du passé. Ma main tremblait encore un peu en le refermant. La poignée a plié légèrement quand j’ai soulevé ma vieille compagne pour la ranger dans le placard. J’ai peur de la rouvrir. Un jour peut-être. Il le faudra. J’ai peur d’être la seule à y voir seulement ce qui pourrait être et non ce qui est. Peur aussi que ce qui est m’échappe et que je ne le voie pas.

Lié à: le col des contrebandiers.

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