C’est la première fois qu’une personne autre que moi écrit ici. Je suis fière que cette personne soit Monique Lachance (@lacmonique), ma collègue, une femme passionnée par son métier, portée par le désir du changement et inspirante pour les enseignants et les élèves qu’elle côtoie, mon amie avant tout. Monique a enseigné la littérature au cégep puis le français au secondaire avant de se consacrer à l’accompagnement pédagogique comme conseillère pédagogique en français. Depuis peu, elle collabore au Programme de recherche en écriture au MELS, et elle est la cofondatrice du REFER. En attendant qu’elle possède son propre espace pour publier, je lui offre un sentier de mes randonnées scripturales pour y laisser sa trace.
Monsieur Bonod,
Dans votre billet du 7 décembre 2013, vous fustigez le travail d’une enseignante qui explique, par l’intermédiaire d’une capsule vidéo, la démarche qu’elle a entreprise, à l’aide du logiciel Antidote, auprès d’élèves en difficulté dans l’une des écoles les plus défavorisées de Québec.
Je suis la conseillère pédagogique qui a initié ce projet d’atelier d’écriture et je désire répliquer publiquement aux détractions condescendantes que vous avez publiées au sujet de cette enseignante et de son travail. Je remercie au passage ma collègue Nathalie Couzon de me permettre d’utiliser son espace public à cette fin.
Je vous concède que cette capsule sur l’atelier d’écriture avec Antidote ne dresse pas un portrait complet des pratiques qui ont été mises en place dans cette classe. Il me semble important et pertinent de replacer le contexte et les conditions d’exercice de l’enseignement du français au Québec afin d’apprécier justement l’activité d’écriture que vous avez abondamment critiquée. Au Québec, deux documents ministériels guident la pratique enseignante : le PFÉQ et la Progression des apprentissages propre aux disciplines. On y retrouve les trois compétences en français que l’élève doit développer, soit Lire et apprécier des textes variés, Écrire des textes variés et Communiquer oralement selon des modalités variées, ces compétences étant travaillées en concomitance et en interrelation. L’article 23 du Régime pédagogique vient préciser que 400 heures par année doivent être consacrées au développement de ces trois compétences au premier cycle du secondaire.
C’est le Cadre d’évaluation des apprentissages en français, langue d’enseignement qui précise, entre autres, la pondération attribuée à chaque compétence. Ainsi, la compétence à écrire compte pour 40% de la note attribuée à l’élève et il est d’usage que les enseignants y accordent à peu près le même poids en temps d’enseignement. Selon ce raisonnement, 160 heures par année sont consacrées à l’enseignement de l’écriture.À l’école de Nicole Frédérick, la répartition des cours est établie selon des cycles de 9 jours et les élèves de premier cycle ont des cours de français inscrits à l’horaire 8 jourspar cycle, 20 cycles par année. 67,75% du temps d’enseignement en écriture (ou 93,25% du temps attribué à l’enseignement du français dans sa globalité) sert à étudier les genres ainsi que les ressources de la langue prescrits par la Progression des apprentissages en français. Une planification détaillée des éléments d’apprentissage qui seront abordés en classe est construite par l’enseignante pour chaque étape de l’année scolaire.
J’en arrive maintenant à l’atelier d’écriture. Sur ces 8 jours, une période (75 minutes) est consacrée à l’écriture libre, soit 6,25% du temps total passé en français ou 31,25% du temps consacré à la compétence en écriture. Cette période d’écriture libre s’avère la façon la plus efficace que nous avons trouvée pour mettre en œuvre la première mesure du PAAF, soit l’écriture plus fréquente (au moins une fois par semaine) de textes. Les membres du comité d’experts à la base des 22 mesures de ce plan d’action ont bien compris que, pour apprendre à écrire, il faut écrire. Toutefois, la plupart des élèves sont rebutés par l’écriture et l’une des raisons de cette aversion est que l’école ne les place pas en contexte authentique d’écriture, c’est-à-dire que les tâches scripturales scolaires ne trouvent pas écho chez cette génération plus que jamais en quête de sens. Il nous faut donc, enseignants et accompagnateurs, créer des situations qui viennent modifier le rapport à l’écrit et qui amènent l’élève à s’engager émotivementet cognitivement dans une tâche d’écriture. Sans véritable engagement de l’élève, aucun apprentissage complexe et durable n’est possible et ce n’est pas sous la menace constante du crayon rouge, dès qu’un mot se dessine sous sa plume, qu’un élève découvrira l’utilité et le plaisir de pouvoir véritablement communiquer avec les possibilités inestimables que nous offre cette langue si capricieuse, mais en même temps si riche. Pour paraphraser Germain Duclos, ce n’est pas parce qu’on mesure la taille d’un enfant tous les jours qu’il grandit plus vite.
Ce sont ces concepts de motivation et d’engagement qui nous ont amenées, Nicole et moi, à modifier nos approches en offrant aux élèves la possibilité de renouer avec l’écriture. L’atelier d’écriture libre leur a permis de revisiter leur langue maternelle et de l’envisager comme un levier à l’acte de communication écrite plutôt que comme un frein.
Sous son air anodin et « vide », comme vous vous plaisez à le dire, l’atelier d’écriture avec Antidote recourt aux différentes phases non linéaires (même pour la diffusion) du processus d’écriture que sont la préparation, la rédaction, la révision, la correction, et la diffusion. Le portfolio électronique PERLE offre la possibilité aux élèves de se fixer des objectifs d’écriture et l’enseignante a accès à toutes ces données puisqu’elle est l’administratrice du groupe. Elle peut ainsi commenter les textes et orienter les objectifs d’écriture en fonction de ce qu’elle connaît de ses élèves et des éléments d’apprentissage au programme. De plus, les élèves ont la possibilité de partager leurs textes avec d’autres élèves, voire avec leurs parents, et de recueillir les impressions, les commentaires et les conseils de leurs pairs. Le système PERLE permet d’enregistrer les différentes versions du texte à chaque fois que les élèves y apportent les modifications et les enrichissements souhaités. Ils sont ainsi en mesure de constater tous les progrès qu’ils ont pu faire grâce aux différents lecteurs de leurs textes et à leurs recherches dansles guides et les dictionnaires d’Antidote. Et bien oui, que voulez-vous, il est encore ici question de socioconstructivisme : le tout est plus grand que la somme des parties!L’évidence est que le numérique permet des pratiques qui auraient été impensables il y a dix ans.
Depuis la mise en place de l’atelier d’écriture à l’école de La Cité, plusieurs élèves nous ont dit avoir travaillé leurs textes de la maison ou à partir du local d’informatique de l’école sur l’heure du repas du midi. Jamais nous n’avions vu des élèves autant impliqués dans leurs apprentissages, surtout en ce qui a trait à des tâches d’écriture qui ne sont même pas évaluées de façon sommative. J’attribue ce succès en grande partie au fait que celle qui a relevé le défi de voir l’école autrement est une enseignante compétente et innovante, une enseignante qui se sent concernée par la recherche de sens de ces adultes en devenir et qui a une vision globale des finalités de l’école.
Bien sûr, cette approche globale vous a échappé puisque vous n’avez retenu que les détails des apprentissages auxquels la période était consacrée lors du tournage de la capsule. Vous n’avez d’ailleurs pas manqué de comparer le niveau des élèves québécois de 14 ans à celui d’élèves français de 7 et 8 ans. Quelle tristesse! Toutefois, grâce à mes échanges avec d’étroits collaborateurs du monde de l’éducation en France, je sais que vos propos ne sont pas partagés par une majorité, voire qu’ils représentent un cas isolé.
Parmi les enseignants que je côtoie, plusieurs ne sont pas à l’aise avec la place grandissante que prend le numérique à l’école, mais cela ne nous empêche pas d’entretenir des relations respectueuses. En fait, c’est la première fois que j’ai affaire à un membre de la profession qui tient des propos aussi odieux sur ses pairs et sur les élèves, et j’espère bien ne plus avoir à croiser votre route, qu’elle soit virtuelle ou réelle!
Monique Lachance
Excellent texte, Monique! Valorisons tous les enseignants exemplaires qui croient à la capacité de réussir de leurs élèves et qui leur donnent de véritables chances de progresser.