C’est si bon…

18 juillet 2011

Petit guide des bonheurs estivaux

Avant-propos ou prologue[1]

Ce petit guide des bonheurs de l’été est un recueil bien modeste, destiné à l’usage des personnes très occupées durant toute l’année qui n’ont pas le temps de profiter des choses simples et n’ont aucune ou que très peu d’aptitudes pour les travaux manuels. Étant moi-même une de ces personnes, je me suis inspirée de mon quotidien estival et des bonheurs que mes vacances au bord de l’eau m’offrent pour réparer le vide éditorial qui laisse tant de mes semblables dans l’oisiveté durant leurs congés sans leur permettre de vraiment décrocher et d’apprécier les plaisirs inattendus d’activités sans prétention. Chaque bonheur est accompagné d’une description pratique (capsule balado, vidéo ou schéma) invitant les lecteurs et lectrices à passer des mots à la pratique. L’ordre de présentation des bonheurs ne correspond pas à leur degré d’importance. Ils peuvent donc être lus dans le désordre ou selon toute autre fantaisie au fur et à mesure de leur publication.

 

Bonheur #1 : Tondre la pelouse


Activité saisonnière au Québec une fois que la neige a fondu, la tonte du gazon remplace le déneigement de l’entrée et se pratique une fois par semaine durant les mois de mai et de juin, généralement en fin de semaine, dès que les terrains sont nettoyés des gravats laissés par les souffleuses. Elle s’atténue à mesure que l’été progresse vers sa fin et, au Québec, cette fin arrive toujours trop tôt. Ainsi on tondra moins en juillet, encore moins en août et quasiment plus en septembre puisqu’une autre activité très sympathique, mais annonciatrice d’une autre saison s’impose : le ramassage des feuilles. À voir les sacs orange qui s’entassent dans les entrées des maisons, on comprend le choix de la feuille d’érable sur le drapeau canadien… Mais revenons à notre gazon! Je considère la tonte de la pelouse comme une thérapie douce, car elle permet un entrainement progressif au décrochage intellectuel. Deux principes actifs entrent en jeu dans ses effets thérapeutiques : le bruit étourdissant du moteur et le parcours aléatoire qu’on décide de suivre pour tondre.

Beaucoup de bruit pour rien

Le vacarme de la tondeuse suffit à lui seul à couper tout être normalement constitué du reste de l’humanité et l’oblige à des réparties du genre «Hein quoi, qu’est-ce que tu dis?», accompagnées de grimaces d’incompréhension quand on entreprend de lui parler. La nuisance sonore produite par la tondeuse, assez pénible en soi pour l’entourage, surtout à des heures indues, a cependant l’avantage d’obnubiler l’esprit du tondeur de gazon.

 

 

Le ronronnement lancinant et régulier du moteur rythme son souffle, ses battements de cœur, ses pas. Peu à peu, il occupe tout l’espace de sa pensée et lui permet finalement de se concentrer sur le silence en lui-même. Plus rien n’existe en dehors de l’espace saturé de décibels et le tondeur atteint alors un état de plénitude incomparable qui le laisse ahuri lorsqu’il coupe les gaz et revient au monde.

 

Le fil d’Ariane

Le deuxième principe guérisseur consiste à dessiner une figure géométrique sur la surface de l’herbe. Vu les mouvements limités que permet la tondeuse, elle est plus souvent de forme concentrique ou encore rectiligne. J’avoue avoir une préférence pour les lignes droites et j’éprouve un certain plaisir à les voir apparaître à mesure que la tonte progresse. Faut-il voir une réminiscence de mes origines françaises dans cet intérêt pour l’esthétisme de la géométrie parfaite des jardins à la française? Je m’y applique avec un zèle presque maniaque, reprenant une ligne quand j’estime qu’elle dévie de sa parallèle précédente. Croyez-moi ou non, l’attention portée à ce dessin grandeur nature me vide l’esprit de façon absolue. Je m’absorbe dans la création de ce dessin labyrinthique, réduisant de plus en plus la zone à tailler jusqu’à la faire disparaître totalement. Il y a comme une satisfaction à voir surgir le dessin à chaque passage de la tondeuse.

 

 

 

 

Je m’étonne à chaque semaine de retrouver cette petite joie bien simple bien que je n’aie aucun talent pour les perspectives ou le dessin à proprement parler. Cependant, la création au fil du couteau me plonge dans un état de zénitude totale à chaque fois lorsque je contemple le résultat final. Un peu plus et on se croirait sur les gazons de Wimbledon. C’est tout simplement beau.


[1] J’ai toujours eu envie d’écrire un avant-propos. D’ailleurs, ça fait plus sérieux, un livre qui commence par un avant-propos, non? Voir le Prologue de Gargantua en guise de preuve.

 

Lié à: le plateau de Beauregard.

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3 commentaires

  1. Nathalie-Nicole Deneault19 juillet 2011 @ 8 h 43 minRépondre

    C’est confirmé… J’adore ta plume! Tondre le gazon ne m’avait jamais semblé si agréable!

  2. Ce qui me fascine, c’est la manière dont tu décris cette activité de tondre le gazon !

  3. Bravo, Nathalie, pour le regard transcendant qui transforme une activité routinière en un pur moment de béatitude ! Un petit bonheur estival dans un présent magnifié et revisité, fallait vraiment y penser. 🙂



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