Sfumato ou une question de limites

19 mars 2021

à J. W. K.

« Notre base n’est pas fixe; (…) Je vois un passé en ruines et un avenir en germe, l’un est trop vieux, l’autre est trop jeune, tout est brouillé. Mais c’est ne pas comprendre le crépuscule. »

Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850

« Si tu veux voir l’infini, ferme les yeux. » 

Milan Kundera, Le Voyeur absolu, 1992

« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »

Jacques Lacan, Séminaire XII, 1964.

C’est pour toi.

Un morceau de lave, ramassé dans la dernière colère du volcan, symbole du sentiment qui brûle tout en ce pays de contraste et de passion comme le feu qui a détruit mon coeur.

Je t’en veux.

J’ai le goût de taper dans un sac de sable jusqu’à ce que mes jointures éclatent, qu’elles me fassent si mal que j’en crie de douleur pour ne plus sentir celle qui est là, tapie dans ma poitrine, qui brûle et qui ravage.

J’aurais le goût que tout s’arrête enfin car rien ne change. Rien, malgré le ciel bleu, la douceur du printemps qui s’installe et les mantras positifs.

Je suis prise de vertiges. Pourtant, je suis couchée. Sentiment de panique si intense que je n’ose plus bouger. Le temps s’étire… Mon corps a la raideur d’un gisant. Dans ma tête, c’est le chahut : les questions fusent sans répit, cherchant des réponses, en vain. Elles s’agitent, se bousculent.

Pourquoi t’es pas parti, toi? Pourquoi tu voulais rester, dis-moi! Pourquoi tu t’en vas pas? Pourquoi t’as tout accepté? Pourquoi t’as jamais dit non, jamais dit ça suffit, jamais dit stop! Pourquoi tu m’as laissé sombrer? Chaque jour, plus profond. Chaque jour, un peu plus. Pourquoi t’as rien fait pour empêcher ça? Pourquoi tu mens encore? Pourquoi t’as été lâche à ce point? Pourquoi tu continues de l’être?

En Sicile, les collines sont vertes et luxuriantes, embaument le parfum des citrons, des lauriers roses, bougainvilliers et magnolias blancs. Surprenant pour une île qui ne connaît que vingt-deux jours de pluie par an, cette eau rationnée quotidiennement et si rare que, comme elle leur est envoyée du ciel, les Siciliens l’ont surnommée l’eau bénite.

Revenir à moi. Retourner au jardin. Trouver mon fauteuil, le vieux fauteuil Adirondack rouge, près de l’étang et du parterre de vivaces. M’y asseoir. Fermer les yeux. Respirer.

Le parfum de la menthe emplit tout à coup mes narines. Je me sens vivifiée, stimulée par cette odeur puissante qui s’épanouit dans l’air environnant.

Mon souffle s’étire, s’amplifie. Il crée de l’espace. Le calme s’installe.

Mon attention se porte sur le léger clapotis de l’eau, sur le vert profond des feuilles, sur la fraîcheur de l’air et les frissons qu’il procure sur ma peau. La respiration crée un mouvement dans mon corps; une nouvelle énergie circule. C’est doux et chaud. Mes muscles se détendent. À l’intérieur de moi, ça pétille même. Je souris.

J’ouvre les yeux. Tu es devant moi mais ton visage est flou comme dans un tableau impressionniste. Alors je m’amuse à explorer les frontières entre le visible et l’invisible : ce n’est plus le combat de l’ombre et de la lumière, mais l’encerclement des deux par l’indiscernable. Plus j’essaie de te voir, plus tu deviens vaporeux, intangible, imprécis, approximatif comme toutes les pensées qui me relient à toi deviennent légères, en attente de leur propre disparition. Les marges s’effrangent, les territoires deviennent évanescents. J’accepte la complexité et l’inachèvement. C’est l’heure entre chien et loup, le crépusculaire dont on ne sait jamais, même en l’éprouvant, s’il faut l’interpréter comme la fin d’un jour ou l’annonce d’une aurore.

Les effluves de menthe saturent l’air maintenant. La nuit est tombée, mes yeux ne distinguent plus rien : il est temps de rentrer.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Hasta la vista

11 mars 2021

À J.W.K..

“Qu’est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance croît, qu’une résistance est en voie d’être surmontée.”

Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 1888

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Il est 2h du matin. Je n’arrive plus à dormir. Ma nouvelle vie sans toi a commencé et j’ai peur. Je ne devrais pas mais je suis terrorisée. Je me suis levée, je suis allée dans le salon pour m’éloigner de toi, pour voir ce que ça me fait maintenant que c’est moi qui ai décidé de prendre du recul. Le silence est long et vide : il me semble si grand et moi, si petite…

J’ai froid, j’enfile un t-shirt; j’ai toujours froid, je tremble. Je tremble tellement fort que mon corps s’agite comme un malade atteint de Parkinson. Tous mes muscles sont contractés. Ça fait mal.

Respire, respire, une fois, deux fois, lentement; encore: une fois, deux fois. Compte jusqu’à 5. Encore, une fois, deux fois, jusqu’à ce que les tremblements s’apaisent et cessent.

Les larmes coulent. Je les laisse couler…

Le chien et le chat m’ont rejointe, ils sont intrigués. Je suis en petite boule sur le divan. Mes bras enlacent mes jambes en position fœtale. Repli. Refuge. Attente.

Tu y es presque. Reste ainsi jusqu’à ce que ton souffle circule librement de la pointe de tes cheveux jusqu’au bout de tes orteils tranquillement, patiemment, qu’il réchauffe chacune de tes cellules, qu’il t’anime.

Le silence se remplit des ronrons du chat et des soupirs du chien. C’est vivant. Je suis plus calme, je respire mieux.

Je suis revenue m’allonger à tes côtés sans te toucher. Le drap trace une frontière entre nous. Pendant un moment, je n’entends plus ta respiration. C’est bizarre : il y a pourtant ton corps sur le matelas de l’autre côté du drap. J’avance mes doigts pour toucher ta peau, elle est fraîche. Tu es bien là. Tu y seras jusqu’à dans quelques heures, jusqu’à ce dernier câlin qu’on se donnera comme un au revoir.

Ça me fait du bien de n’entendre que ma respiration. Je me grise de cet air qui rentre dans mes poumons, que je fais descendre dans mon ventre, dans mon sexe, dans mes jambes, que je dirige où je veux désormais. Je suis le pilote. Je choisis ma destination. Vertige.

Le chat a sauté sur le lit. Il s’est installé sur tes jambes. On n’entend plus que son ronronnement régulier, doux et affectueux. Il choisit toujours son humain. Cette nuit, il t’a choisi, toi. C’est sa façon de te dire qu’il s’en remet à toi durant son sommeil, que tu lui procures de la sécurité quand il est dans son état le plus vulnérable. Ça me rassure. S’il t’a choisi, je lui fais confiance : les animaux ne se trompent pas.

«Tu ne dors pas?»

C’est la petite fille en moi avec sa voix de 4 ans qui t’a répondu : « Non » Un non timide et inquiet. Et elle s’est blottie dans tes bras. Elle a encore peur. C’est normal, c’est nouveau.

Il est 3 heures. Je ferme les yeux. Dans mes oreilles, comme un bruissement singulier, on dirait des piaillements d’oiseaux… non plutôt la stridulation des criquets. Ils chantent, fort! La mer apparaît d’un coup. Les odeurs de la pinède emplissent mes narines. Le soleil caresse ma peau. Je suis bien.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Le costume

2 mars 2021

Je ne peux pas créer un costume pour cacher qui je suis vraiment… Non, je ne peux pas trouver ou créer un costume assez grand, assez beau, assez convenable pour cacher aux autres et à moi-même qui je suis vraiment.

Est-ce pour masquer ma vérité ou pour la dévoiler que je farde mon regard, que je tronque mon visage, que je modifie mon apparence? Qu’est-ce que je cherche?

Je joue avec les filtres, savamment, prétextant une intention artistique et la recherche de la beauté. En vérité, je manipule les images jusqu’à ce que moi, je me trouve belle, là dans ces compositions qui me permettent de toucher à ma vulnérabilité, qui me permettent de lui donner une place pour s’exprimer et exister.

Il n’y a rien de narcissique dans cette démarche, simplement le désir de transgresser la peur d’être telle que je suis, entière, unique, différente et surtout de l’apprécier, de l’accepter.

Quand j’emprunte les costumes de ces héroïnes dotées de super pouvoirs, je porte leurs habits pour me convaincre de la force qui m’habite alors que je pourrais marcher nue, fièrement.

Ma fragilité et ma sensibilité sont ma force. C’est le vrai Moi dont tout le monde tombe amoureux et que j’apprends à aimer… enfin.

Lié à: le col des contrebandiers.