C’est si bon… (3)

30 juillet 2011

Bonheur # 3 : Sabler du bois

 

Avis de l’auteure

Ce billet contient des propos destinés à un public adulte. Pour une fois, les mots suffiront à évoquer les images 😉

 

J’avais devant moi plus d’une trentaine de planches de pin noueux tout juste délignées. Pour les néophytes, déligner revient à couper dans une grande planche, des morceaux plus petits, genre plinthes. C’est plus économique que de les acheter tout faits. Je devais sabler le dessus des plinthes pour enlever les aspérités causées par la lame avant de les vernir. Je ne savais pas que cette tâche répétitive, donc à priori plutôt ennuyante, m’amènerait à vivre une expérience sensorielle très agréable, voire un moment de pure extase…

 

En guise de préliminaires…

Avez-vous déjà sablé[1] une planche, un meuble, un cadre? En fait, peu importe l’objet, c’est la matière dont il est fait qui est intéressante ou plutôt la matière qui va se révéler au fur et à mesure que les va-et-vient de la main métamorphose sa surface. Petit à petit, sous l’effet du papier sablé, l’objet change d’aspect : de rêche et brut qu’il était, imparfait, plein d’échardes, le grain du bois s’affine, s’adoucit, acquiert une délicieuse délicatesse. Il devient soyeux, sensuel, voluptueux sous les doigts. Il suscite le plaisir du toucher tout en aiguisant la vue, l’odorat et l’ouïe aussi.

Avant cet après-midi d’été, je n’avais jamais prêté attention aux sensations que procure ce lissage répétitif et patient. Alors, pendant que ma main reproduisait le même mouvement sur le bois, j’ai laissé vagabonder mon esprit, signe que la relaxation s’amorçait et qu’une fois de plus, je m’adonnais à un exercice bénéfique pour ma détente.

 

Les parfums, les couleurs et les sons se répondent…

Ma main se pose sur la planche brute. Elle remonte lentement le long du bois. Elle glisse doucement pour y déceler les imperfections. Elle s’arrête, fait marche arrière puis repasse tranquillement pour mieux apprécier la matière et évaluer la quantité de va-et-vient nécessaires. Ma paume, mes doigts, mes yeux s’appliquent, concentrés : ils mémorisent minutieusement chaque parcelle du bois à sabler. Ils enregistrent la distance entre chaque geste. Ils imaginent le scénario, précisément : glisser sans retenue jusqu’au premier nœud. S’arrêter. Papier sablé numéro 80, gros grain. Deux ou trois coups rapides, juste pour enlever le plus gros. Respirer l’odeur du pin. Souffler sur le bren de scie. Du regard estimer le résultat. Lisser avec la paume. Changer de papier. Un grain plus serré. Être attentive aux murmures de la planche. Chercher l’harmonie sur les cordes du bois. Recommencer jusqu’à égaliser la surface. Ainsi de suite, jusqu’à sentir le bois s’adoucir, peu à peu, jusqu’à ce que le mouvement de la main soit si léger que le bois en frémisse, comme la peau qui reçoit une caresse. Repasser encore une fois la main sur toute la planche pour goûter la douceur. Fermer les yeux. S’abandonner…

 

Longtemps! toujours! ma main…

Tu es allongé, nu. Tu es beau. Tu reposes, le corps alangui de paresse dans la douceur de ce matin d’été. Ton visage est enfoui dans l’oreiller, tu dors encore. Ton souffle, imperceptiblement, rythme l’élan de ta poitrine. Les draps ont glissé à terre. Je contemple le paysage de tes courbes.

Je m’approche sans bruit et, délicatement, je pose mes mains sur tes jambes. Tu tressailles : mes mains sont fraiches, ton corps si chaud… Je les laisse s’imprégner de ta chaleur puis je continue mon voyage. Ah! «Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! Tout ce que je sens! Tout ce que j’entends» sur ta peau. Il y a des vallons où j’aimerais me reposer, des sentiers ombragés et doux qui fleurent bon le cèdre du Liban, des lacs accueillants et paisibles où j’aimerais plonger. Tes fesses rebondies me font entrevoir un oasis invitant où se déploie le parfum du pamplemousse. Ta peau gorgée de soleil rappelle l’ambre de Sicile. Impossible de résister à la sensualité dangereuse qui s’éveille irrésistiblement. Je m’égare… Petit poucet rêveur, j’égrène quelques baisers blancs. Je folâtre. Mes doigts dessinent sur ton dos des arabesques, amorçant un rituel magique pour t’envoûter.

Sensible au fourmillement du désir naissant, tu frémis. Tu respires plus vite et ta peau soupire, altérée par des souvenirs anciens. Tu t’agites, je suspends mon geste, prolongeant l’attente, exacerbant ton impatience. La voile se gonfle, le pont se remplit de cris insolites et confus, le rivage s’éloigne dans un tangage langoureux.

Tout à coup, il n’y a plus de lit, plus de chambre, plus d’espace. Il n’y a plus de navire, plus d’île, plus d’océan. Il n’y a plus de vague, plus de main sur une planche de bois. Il y a l’extase savoureuse de la volupté, le plaisir éblouissant qui nous enlève, l’ivresse de l’harmonie où nos soupirs s’embrassent et «chantent les transports de l’esprit et des sens.»

 

 


[1] Pour les puristes de la langue, le terme sablage renvoie à l’action de sabler, de couvrir de sable, de décaper, dépolir, graver à la sableuse. Le sablage d’un meuble, d’un plancher. C’est au Québec, un terme plus fréquent dans l’usage que celui de ponçage en France.

Lié à: le plateau de Beauregard.

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C’est si bon… (2)

20 juillet 2011

Bonheur #2 : Regarder le lac


À toute heure du jour comme de la nuit, j’éprouve une joie indicible à contempler le lac, sa surface changeante ou impassible.

A cinq heures du matin, la brume y danse. La rive d’en face se confond dans son reflet sur l’eau, se révèle identique et troublante à mesure que le brouillard se dissipe. Où est la frontière? De quel côté est la vérité? Mise en abyme des existences. «Miroir, joli miroir, dis-moi : Qui suis-je…»

Je regarde souvent par la fenêtre en prenant mon petit déjeuner et me perd dans la distorsion des formes sur l’eau, laissant mon esprit vagabonder au rythme lent des nuées. Le dédoublement du paysage m’ouvre les portes de la méditation.

 

 

Quand il pleut, la pluie troue l’image du chalet dans l’eau, créant des interstices pour passer de l’autre côté tandis que le chalet devant mes yeux disparait derrière les barreaux gris. Je suis trop grosse pour passer dans ces conduits minuscules et pas assez forte pour écarter les barreaux qui cadenassent l’horizon. Puis la pluie cesse tout à coup et le lac reprend sa figure apaisante et tranquille. Tout redevient normal : le miroir reflète de nouveau une réalité connue.

 

 

À minuit, le lac devient la piste de danse de la lune lorsque elle veut aller au bal et le miroir prend un tout autre aspect, fascinant. Quand elle est ronde et pleine, un autre monde s’ouvre sous nos pieds dans les profondeurs du lac où se réfléchissent les nuages, la forêt, les étoiles et toutes les ombres de la nuit. Du haut du quai, on aperçoit les montagnes du Tibet. L’Himalaya est sous nos pieds : il nous suffirait de sauter pour se retrouver sur ses pentes. Quelle étrange sensation que d’entrevoir l’au-delà… Y a-t-il une correspondance entre les réalités? L’image réfléchie dans le miroir est-elle réelle? Pourtant, il n’y a rien d’épeurant : les illusions jouent à nous tromper, nous invitant à imaginer d’autres univers parallèles. Il n’y a plus de limites : vertige de l’infini…

 

 

Comme un isthme, le lac rapproche les fragments de terre et de ciel et les unit. C’est le lieu du passage, des invocations rêveuses, du retour inattendu des souvenirs. L’eau est un linceul où sont ensevelies tant d’images : passé, présent et futur se conjuguent dans cet enchevêtrement des espaces.

 

 

Quand le lac est bercé d’une légère brise, sa surface se plisse et rien n’y paraît. Il scintille de mille feux comme si les étoiles qu’il avait accueillies en ses eaux s’amusaient à clignoter.

 

 

Prendre le temps de regarder le lac, c’est prendre le temps du calme et de la sérénité. C’est accepter de se laisser bercer le coeur, de respirer au rythme égal de l’onde. Le déroulement infini des vagues n’a pas son pareil pour me détendre. J’y trouve toujours un réconfort précieux. Et quand le soir tombe, à la brunante, je m’émerveille de la lumière qui tombe sur le lac. Chaque soir… car, sans mentir, vers 19 heures, comme en ce moment, chaque soir, je prends quelques minutes pour remercier la nature de la féerie qu’elle m’offre.

 

 

 

Lié à: le plateau de Beauregard.

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C’est si bon…

18 juillet 2011

Petit guide des bonheurs estivaux

Avant-propos ou prologue[1]

Ce petit guide des bonheurs de l’été est un recueil bien modeste, destiné à l’usage des personnes très occupées durant toute l’année qui n’ont pas le temps de profiter des choses simples et n’ont aucune ou que très peu d’aptitudes pour les travaux manuels. Étant moi-même une de ces personnes, je me suis inspirée de mon quotidien estival et des bonheurs que mes vacances au bord de l’eau m’offrent pour réparer le vide éditorial qui laisse tant de mes semblables dans l’oisiveté durant leurs congés sans leur permettre de vraiment décrocher et d’apprécier les plaisirs inattendus d’activités sans prétention. Chaque bonheur est accompagné d’une description pratique (capsule balado, vidéo ou schéma) invitant les lecteurs et lectrices à passer des mots à la pratique. L’ordre de présentation des bonheurs ne correspond pas à leur degré d’importance. Ils peuvent donc être lus dans le désordre ou selon toute autre fantaisie au fur et à mesure de leur publication.

 

Bonheur #1 : Tondre la pelouse


Activité saisonnière au Québec une fois que la neige a fondu, la tonte du gazon remplace le déneigement de l’entrée et se pratique une fois par semaine durant les mois de mai et de juin, généralement en fin de semaine, dès que les terrains sont nettoyés des gravats laissés par les souffleuses. Elle s’atténue à mesure que l’été progresse vers sa fin et, au Québec, cette fin arrive toujours trop tôt. Ainsi on tondra moins en juillet, encore moins en août et quasiment plus en septembre puisqu’une autre activité très sympathique, mais annonciatrice d’une autre saison s’impose : le ramassage des feuilles. À voir les sacs orange qui s’entassent dans les entrées des maisons, on comprend le choix de la feuille d’érable sur le drapeau canadien… Mais revenons à notre gazon! Je considère la tonte de la pelouse comme une thérapie douce, car elle permet un entrainement progressif au décrochage intellectuel. Deux principes actifs entrent en jeu dans ses effets thérapeutiques : le bruit étourdissant du moteur et le parcours aléatoire qu’on décide de suivre pour tondre.

Beaucoup de bruit pour rien

Le vacarme de la tondeuse suffit à lui seul à couper tout être normalement constitué du reste de l’humanité et l’oblige à des réparties du genre «Hein quoi, qu’est-ce que tu dis?», accompagnées de grimaces d’incompréhension quand on entreprend de lui parler. La nuisance sonore produite par la tondeuse, assez pénible en soi pour l’entourage, surtout à des heures indues, a cependant l’avantage d’obnubiler l’esprit du tondeur de gazon.

 

 

Le ronronnement lancinant et régulier du moteur rythme son souffle, ses battements de cœur, ses pas. Peu à peu, il occupe tout l’espace de sa pensée et lui permet finalement de se concentrer sur le silence en lui-même. Plus rien n’existe en dehors de l’espace saturé de décibels et le tondeur atteint alors un état de plénitude incomparable qui le laisse ahuri lorsqu’il coupe les gaz et revient au monde.

 

Le fil d’Ariane

Le deuxième principe guérisseur consiste à dessiner une figure géométrique sur la surface de l’herbe. Vu les mouvements limités que permet la tondeuse, elle est plus souvent de forme concentrique ou encore rectiligne. J’avoue avoir une préférence pour les lignes droites et j’éprouve un certain plaisir à les voir apparaître à mesure que la tonte progresse. Faut-il voir une réminiscence de mes origines françaises dans cet intérêt pour l’esthétisme de la géométrie parfaite des jardins à la française? Je m’y applique avec un zèle presque maniaque, reprenant une ligne quand j’estime qu’elle dévie de sa parallèle précédente. Croyez-moi ou non, l’attention portée à ce dessin grandeur nature me vide l’esprit de façon absolue. Je m’absorbe dans la création de ce dessin labyrinthique, réduisant de plus en plus la zone à tailler jusqu’à la faire disparaître totalement. Il y a comme une satisfaction à voir surgir le dessin à chaque passage de la tondeuse.

 

 

 

 

Je m’étonne à chaque semaine de retrouver cette petite joie bien simple bien que je n’aie aucun talent pour les perspectives ou le dessin à proprement parler. Cependant, la création au fil du couteau me plonge dans un état de zénitude totale à chaque fois lorsque je contemple le résultat final. Un peu plus et on se croirait sur les gazons de Wimbledon. C’est tout simplement beau.


[1] J’ai toujours eu envie d’écrire un avant-propos. D’ailleurs, ça fait plus sérieux, un livre qui commence par un avant-propos, non? Voir le Prologue de Gargantua en guise de preuve.

 

Lié à: le plateau de Beauregard.

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Pour faire le portrait d’une maison

2 juillet 2011

 

 

Pour faire le portrait d’une maison

 

 

 

Esquisser rapidement un habitat

avec des murs translucides

avec des parfums qui éveillent les sens et l’appétit

S’y laisser inviter et la visiter, les yeux fermés

La deviner avant de la découvrir

Inventer ensuite un jardin enchanté

qui soit inutile, grandiose, fabuleux

où peuvent se perdre nos esprits et nos yeux

Étendre sur le sol des tapis chamarrés, doux et confortables

Y disposer des coussins moelleux pour le repos

Allumer un feu pour la veillée

Prendre une cuillère, un violon, quelques rimes et notes enjouées

 

Voici, par ordre d’implication, la liste des participants de #PFPmaison

@nathcouz, @Aurise, @Lise_Goulet

 

 

 

Lié à: le Suet, Pour faire le portrait d'une maison.

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Pour faire le portrait d’un ami

2 juillet 2011

 

Pour faire le portrait d’un ami

 

 

 

 

Imaginer d’abord un individu

avec un coeur immense

avec des défauts rigolos

avec un regard sur le monde qui perturbe le vôtre

Imaginer ensuite une main tendue en toute occasion

De son ombre derrière chercher où porte son regard

l’accueil inconditionnel, la générosité à fleur de peau

sans attentes plurielles, sans malice aucune

Pour l’ami, placer en retrait de votre âme une nourriture pouvant le sustenter

Peindre un décor propice aux connivences : petit café, banc de parc, sentier de forêt en ville

Cultiver dans ce cadre les fleurs de la confiance

Témoigner silencieusement de beaucoup de patience

Laisser aussi pousser quelques fleurs rebelles et sans nom

Manifester discrètement le plaisir d’être ensemble

Apprécier le temps des silences complices

Parfois l’ami s’éloigne, il se perd, il s’égare

Ne rien faire

Ne rien dire

Ne pas juger

Attendre

Puis oblitérer sans brusquerie une à une les conditions qui ont forgé cette amitié

 

 

Voici, par ordre d’implication, la liste des participants de #PFPami :

@Aurise, @JF_Giguere, @nathcouz, @GilbertOlivier, @Lise_Goulet


 

Lié à: le Suet, Pour faire le portrait d'un ami.

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Pour faire le portrait d’un pays

2 juillet 2011

 

Pour faire le portrait d’un pays


 

 

Évoquer longtemps un espace

avec des rêves infinis

avec des aventures de défis

avec des camarades bénis

Pour les voyageurs

Imaginer ensuite des maisons

où se marient les accents et les couleurs

où s’entrelacent les esprits et les coeurs

Accepter que la toile ne sera pas assez grande

qu’elle en délimitera des frontières

Petite ou grande, elle sera abri et refuge

où s’inspirent peintres et auteurs

où vibrent les musiciens, les poètes et les conteurs

où la vie bigarrée sans malice incruste le paysage

Cela peut prendre un certain temps : ne pas s’en étonner

 

Voici, par ordre d’implication, la liste des participants de #PFPpays

@francoisbourdon, @Aurise, @Lise_Goulet, @GilbertOlivier, @nathcouz


 

Lié à: le Suet, Pour faire le portrait d'un pays.

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