Sfumato ou une question de limites

19 mars 2021

à J. W. K.

« Notre base n’est pas fixe; (…) Je vois un passé en ruines et un avenir en germe, l’un est trop vieux, l’autre est trop jeune, tout est brouillé. Mais c’est ne pas comprendre le crépuscule. »

Gustave Flaubert, Lettre à Louis Bouilhet, Damas, 4 septembre 1850

« Si tu veux voir l’infini, ferme les yeux. » 

Milan Kundera, Le Voyeur absolu, 1992

« L’amour, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. »

Jacques Lacan, Séminaire XII, 1964.

C’est pour toi.

Un morceau de lave, ramassé dans la dernière colère du volcan, symbole du sentiment qui brûle tout en ce pays de contraste et de passion comme le feu qui a détruit mon coeur.

Je t’en veux.

J’ai le goût de taper dans un sac de sable jusqu’à ce que mes jointures éclatent, qu’elles me fassent si mal que j’en crie de douleur pour ne plus sentir celle qui est là, tapie dans ma poitrine, qui brûle et qui ravage.

J’aurais le goût que tout s’arrête enfin car rien ne change. Rien, malgré le ciel bleu, la douceur du printemps qui s’installe et les mantras positifs.

Je suis prise de vertiges. Pourtant, je suis couchée. Sentiment de panique si intense que je n’ose plus bouger. Le temps s’étire… Mon corps a la raideur d’un gisant. Dans ma tête, c’est le chahut : les questions fusent sans répit, cherchant des réponses, en vain. Elles s’agitent, se bousculent.

Pourquoi t’es pas parti, toi? Pourquoi tu voulais rester, dis-moi! Pourquoi tu t’en vas pas? Pourquoi t’as tout accepté? Pourquoi t’as jamais dit non, jamais dit ça suffit, jamais dit stop! Pourquoi tu m’as laissé sombrer? Chaque jour, plus profond. Chaque jour, un peu plus. Pourquoi t’as rien fait pour empêcher ça? Pourquoi tu mens encore? Pourquoi t’as été lâche à ce point? Pourquoi tu continues de l’être?

En Sicile, les collines sont vertes et luxuriantes, embaument le parfum des citrons, des lauriers roses, bougainvilliers et magnolias blancs. Surprenant pour une île qui ne connaît que vingt-deux jours de pluie par an, cette eau rationnée quotidiennement et si rare que, comme elle leur est envoyée du ciel, les Siciliens l’ont surnommée l’eau bénite.

Revenir à moi. Retourner au jardin. Trouver mon fauteuil, le vieux fauteuil Adirondack rouge, près de l’étang et du parterre de vivaces. M’y asseoir. Fermer les yeux. Respirer.

Le parfum de la menthe emplit tout à coup mes narines. Je me sens vivifiée, stimulée par cette odeur puissante qui s’épanouit dans l’air environnant.

Mon souffle s’étire, s’amplifie. Il crée de l’espace. Le calme s’installe.

Mon attention se porte sur le léger clapotis de l’eau, sur le vert profond des feuilles, sur la fraîcheur de l’air et les frissons qu’il procure sur ma peau. La respiration crée un mouvement dans mon corps; une nouvelle énergie circule. C’est doux et chaud. Mes muscles se détendent. À l’intérieur de moi, ça pétille même. Je souris.

J’ouvre les yeux. Tu es devant moi mais ton visage est flou comme dans un tableau impressionniste. Alors je m’amuse à explorer les frontières entre le visible et l’invisible : ce n’est plus le combat de l’ombre et de la lumière, mais l’encerclement des deux par l’indiscernable. Plus j’essaie de te voir, plus tu deviens vaporeux, intangible, imprécis, approximatif comme toutes les pensées qui me relient à toi deviennent légères, en attente de leur propre disparition. Les marges s’effrangent, les territoires deviennent évanescents. J’accepte la complexité et l’inachèvement. C’est l’heure entre chien et loup, le crépusculaire dont on ne sait jamais, même en l’éprouvant, s’il faut l’interpréter comme la fin d’un jour ou l’annonce d’une aurore.

Les effluves de menthe saturent l’air maintenant. La nuit est tombée, mes yeux ne distinguent plus rien : il est temps de rentrer.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Hasta la vista

11 mars 2021

À J.W.K..

“Qu’est-ce que le bonheur ? Le sentiment que la puissance croît, qu’une résistance est en voie d’être surmontée.”

Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist, 1888

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Il est 2h du matin. Je n’arrive plus à dormir. Ma nouvelle vie sans toi a commencé et j’ai peur. Je ne devrais pas mais je suis terrorisée. Je me suis levée, je suis allée dans le salon pour m’éloigner de toi, pour voir ce que ça me fait maintenant que c’est moi qui ai décidé de prendre du recul. Le silence est long et vide : il me semble si grand et moi, si petite…

J’ai froid, j’enfile un t-shirt; j’ai toujours froid, je tremble. Je tremble tellement fort que mon corps s’agite comme un malade atteint de Parkinson. Tous mes muscles sont contractés. Ça fait mal.

Respire, respire, une fois, deux fois, lentement; encore: une fois, deux fois. Compte jusqu’à 5. Encore, une fois, deux fois, jusqu’à ce que les tremblements s’apaisent et cessent.

Les larmes coulent. Je les laisse couler…

Le chien et le chat m’ont rejointe, ils sont intrigués. Je suis en petite boule sur le divan. Mes bras enlacent mes jambes en position fœtale. Repli. Refuge. Attente.

Tu y es presque. Reste ainsi jusqu’à ce que ton souffle circule librement de la pointe de tes cheveux jusqu’au bout de tes orteils tranquillement, patiemment, qu’il réchauffe chacune de tes cellules, qu’il t’anime.

Le silence se remplit des ronrons du chat et des soupirs du chien. C’est vivant. Je suis plus calme, je respire mieux.

Je suis revenue m’allonger à tes côtés sans te toucher. Le drap trace une frontière entre nous. Pendant un moment, je n’entends plus ta respiration. C’est bizarre : il y a pourtant ton corps sur le matelas de l’autre côté du drap. J’avance mes doigts pour toucher ta peau, elle est fraîche. Tu es bien là. Tu y seras jusqu’à dans quelques heures, jusqu’à ce dernier câlin qu’on se donnera comme un au revoir.

Ça me fait du bien de n’entendre que ma respiration. Je me grise de cet air qui rentre dans mes poumons, que je fais descendre dans mon ventre, dans mon sexe, dans mes jambes, que je dirige où je veux désormais. Je suis le pilote. Je choisis ma destination. Vertige.

Le chat a sauté sur le lit. Il s’est installé sur tes jambes. On n’entend plus que son ronronnement régulier, doux et affectueux. Il choisit toujours son humain. Cette nuit, il t’a choisi, toi. C’est sa façon de te dire qu’il s’en remet à toi durant son sommeil, que tu lui procures de la sécurité quand il est dans son état le plus vulnérable. Ça me rassure. S’il t’a choisi, je lui fais confiance : les animaux ne se trompent pas.

«Tu ne dors pas?»

C’est la petite fille en moi avec sa voix de 4 ans qui t’a répondu : « Non » Un non timide et inquiet. Et elle s’est blottie dans tes bras. Elle a encore peur. C’est normal, c’est nouveau.

Il est 3 heures. Je ferme les yeux. Dans mes oreilles, comme un bruissement singulier, on dirait des piaillements d’oiseaux… non plutôt la stridulation des criquets. Ils chantent, fort! La mer apparaît d’un coup. Les odeurs de la pinède emplissent mes narines. Le soleil caresse ma peau. Je suis bien.

Lié à: le col des contrebandiers.

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Le costume

2 mars 2021

Je ne peux pas créer un costume pour cacher qui je suis vraiment… Non, je ne peux pas trouver ou créer un costume assez grand, assez beau, assez convenable pour cacher aux autres et à moi-même qui je suis vraiment.

Est-ce pour masquer ma vérité ou pour la dévoiler que je farde mon regard, que je tronque mon visage, que je modifie mon apparence? Qu’est-ce que je cherche?

Je joue avec les filtres, savamment, prétextant une intention artistique et la recherche de la beauté. En vérité, je manipule les images jusqu’à ce que moi, je me trouve belle, là dans ces compositions qui me permettent de toucher à ma vulnérabilité, qui me permettent de lui donner une place pour s’exprimer et exister.

Il n’y a rien de narcissique dans cette démarche, simplement le désir de transgresser la peur d’être telle que je suis, entière, unique, différente et surtout de l’apprécier, de l’accepter.

Quand j’emprunte les costumes de ces héroïnes dotées de super pouvoirs, je porte leurs habits pour me convaincre de la force qui m’habite alors que je pourrais marcher nue, fièrement.

Ma fragilité et ma sensibilité sont ma force. C’est le vrai Moi dont tout le monde tombe amoureux et que j’apprends à aimer… enfin.

Lié à: le col des contrebandiers.

Comme avant

25 février 2021

En mémoire de mon cousin, Jean-Gabriel Damizet

(1970-2021)

Le ciel est par-dessus le toit. Sur la terrasse, il y a une grande échelle qui mène jusqu’à lui. Pendant que Brigitte s’occupe de Sabine dans la cuisine à Salcigneux, toi et moi, nous projetons une grande expédition : et si on grimpait là haut? Ouai 😀 si on grimpait tout en haut… pour voir le monde? 

Nous avons à peine 4 ans mais déjà de grandes ambitions! C’est décidé : je monte la première, tu m’encourages quelques barreaux plus bas. Arrivée à la lisière du toit, je te crie : «Monte, viens voir, Biel, c’est beau!»

Aujourd’hui, c’est toi qui as grimpé en premier, c’est qui tu as pris les devants dans le grand escalier, mais Brigitte ne pourra pas venir te chercher et te ramener en bas comme autrefois. Et moi, sur la terrasse, je reste seule et je pleure. 

Notre vie dure ce qu’elle dure mais je ne suis plus vraiment sûre de rien si tu t’en vas.

Tu ne voudrais pas me voir triste et d’où tu es, je t’entends me dire : «Nath, c’est beau! Comme dans nos rêves d’enfants, ouai 😀 c’est beau comme avant.» 

Mais moi, tu vois, j’aimerais qu’on ait encore 4 ans pour que tu me serres fort dans tes bras ou que tu me fasses rire aux éclats comme sur ces photos jaunies où on avait l’air si heureux. J’aimerais qu’on ait encore 10 ans pour que tu chantes sans cesse cette rengaine qui me faisait enrager : «Nataloche, dans sa dodoche mange des brioches!» J’aimerais qu’on ait encore 18 ans pour nous retrouver à Lourdes devant la grotte, fervents. J’aimerais qu’on ait encore 20 ans  pour bosser comme deux potaches studieux, toi, sur tes planches d’anatomie et moi, sur mes thèmes latins. Mais j’aimerais surtout qu’aujourd’hui tu dises au grand portier du paradis : «Désolé, c’est pas mon heure, ils m’attendent en bas. Essai manqué, on se reverra plus tard!» 

Reviens, Biel, s’il te plait, reviens juste une minute, une dernière fois : j’ai besoin de voir tes yeux bleus couleur de mer. 

Reviens, Biel, s’il te plait, reviens juste une minute, une dernière fois : j’ai pas eu le temps de te dire à quel point j’étais fière de toi. 

Reviens, Biel, reviens comme dans nos rêves d’enfants. 

Reviens Biel, tu me manques tellement.

Lié à: le lac bénit.

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Un beau coeur

24 janvier 2021

Voici une allégorie inspirante. Je n’en suis pas l’auteure. Je l’ai entendue dans une conférence où intervenait Yannick Alain. Je la retranscris ici.

Il était une fois dans un village un jeune homme qui attirait les regards de tous les passants sur lui, car il s’écriait à pleins poumons: « J’ai le plus beau cœur au monde ! Qui aimerait voir mon cœur ? J’ai le plus beau cœur au monde ! Oyez ! Oyez ! Approchez ! Je m’apprête à vous montrer le plus beau cœur au monde. »

Il criait si fort et avait l’air tellement convaincu de posséder un trésor avec ce coeur qu’il disait incomparable que, peu à peu, les gens, intrigués et voulant voir ce phénomène, s’attroupèrent autour de lui. Bientôt des centaines de villageois l’entouraient et, lorsqu’il y eut assez de personnes, le jeune homme plongea la main dans son manteau et il en sortit son cœur.

Les gens furent très surpris parce qu’effectivement, le jeune homme avait raison : c’était le cœur le plus éclatant, le plus brillant qu’ils aient jamais vu. Sa couleur était exceptionnelle, sa forme sans aspérité, sans aucune égratignure, sans aucune imperfection. Les gens étaient vraiment très impressionnés et tous étaient unanimes. Bref, les éloges pleuvaient : c’était une véritable merveille!

Le jeune homme était très fier et se vantait encore plus de son cœur parfait. Cependant, alors que personne ne s’y attendait, une voix s’éleva dans la foule : « Mon cœur est plus beau que le tien, jeune homme! ».

Les villageois se demandèrent qui avait osé prononcer ces paroles incroyables et cherchaient dans la foule l’impertinent. Ils aperçurent alors un vieillard dont la mine était sans prétention. Tous le regardaient avec cet air de dire : « Comment cet homme peut-il prétendre avoir un plus beau cœur que celui de ce jeune garçon? » Et le jeune de dire : « Si votre cœur est plus beau que le mien, vieil homme, et bien, venez-nous le montrer. »

Alors le vieil homme s’avança d’un pas lent mais assuré jusqu’au centre de la foule et lentement entra la main dans son manteau et en sortit son cœur. À la vue du coeur du vieillard, le jeune éclata de rire : « Sauf votre respect, vieil homme, comment pouvez-vous dire que votre cœur est plus beau que le mien? Certes, il bat puissamment mais il est plein de cicatrices! Il est tout irrégulier, tout rapiécé et ses coins sont déchirés. Il y a même des endroits où il manque des morceaux. Non, sérieusement, vous plaisantez?! Votre coeur est dans un triste état! Vous ne savez pas ce que vous dites. »

Les villageois partageaient l’opinion du jeune homme : non mais vraiment, ce vieillard avait perdu la tête!

Le vieil homme les regarda tous avec beaucoup d’amour et dit : « Oui, tu as raison, mon jeune ami : ton cœur est en effet très beau, mais je ne voudrais pas l’échanger avec le mien. Tu vois sur mon coeur chaque cicatrice, chaque égratignure représentent une personne à qui j’ai donné mon amour : ce sont toutes les fois où j’ai aimé et que j’ai peut-être été déçu, blessé ou que ça n’a pas fonctionné. Chaque morceau rapiécé que tu vois, ce sont toutes les fois où j’ai donné un petit morceau de mon cœur à quelqu’un d’autre et, en échange, il m’a retourné un morceau du sien. Ces accrocs, c’est moi qui les ai faits lorsque j’ai déchiré des morceaux de mon cœur et que je les ai donnés. En retour, certaines personnes m’ont donné un morceau de leur cœur mais ces morceaux ne sont pas exactement les mêmes. Les coins sont déchirés, je suis d’accord avec toi, mais cela me rappelle que nous avons partagé de l’amour les uns pour les autres.

Les trous que tu vois, jeune homme, ce sont toutes les fois où j’ai pris des risques, où j’ai cru en mes rêves, où j’ai cru en moi et que j’ai osé les réaliser et que ça n’a peut-être pas fonctionné. Ce sont aussi toutes les fois où j’ai donné un morceau de mon cœur à quelqu’un d’autre, mais qu’il ne m’a rien donné en retour. Ces échecs ont laissé des trous. Ce sont les trous que tu vois là. Donner son amour comporte des risques. C’est pourquoi ces trous restent ouverts. Cela me rappelle que j’ai de l’amour pour ces gens. Un jour, ils reviendront peut-être pour y mettre leur pièce.

Alors, lorsque je regarde mon cœur, jeune homme, je vois un cœur qui a aimé, je vois un cœur qui a risqué, je vois un cœur qui a donné. Vois-tu maintenant ce qu’est la vraie beauté ? »

Le jeune homme ne savait que dire et des larmes coulaient le long de ses joues. La foule aussi était émue. Alors le jeune homme prit son cœur dans sa main et en déchira un morceau. Il l’offrit au vieillard avec des mains tremblantes. Le vieil homme prit le morceau, le déposa sur son propre cœur. Il en prit un morceau à son tour pour combler la plaie dans le cœur du jeune homme. Ce morceau ne s’ajustait pas parfaitement au trou dans le coeur du jeune homme, mais ce dernier regarda son cœur qui n’était plus parfait, et il le trouva beau, beaucoup plus beau qu’auparavant parce que l’amour du vieil homme circulait dans son propre cœur.

Lié à: le lac bénit.

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Est-ce moi

22 janvier 2021

À J.W.K

« Chase what you know

Cover your weave

Jump in the fall

Follow that sea

Chase what you know (You’ll be the only one)

Cover your weave

Jump in the fall»

Hope, Blood orange

Est-ce moi

mon visage mon regard mes grands yeux verts

mon sourire ma petite voix d’enfant mon accent désopilant

Est-ce moi

mon rire spontané et contagieux mes manies «so peculiar» mes délicates attentions

Est-ce moi

ma peau mes lèvres mes hanches pleines mes seins généreux mon sexe

Est-ce moi

ma fragilité déconcertante mon désir irrésistible mon amour infini

Est-ce moi

dans ton regard quand le sommeil t’emporte

dans tes oreilles quand la nuit étouffe tous les autres bruits

Est-ce moi

dans ta bouche dans tes mains dans tes bras

quand tu rêves

Est-ce moi

ce matin demain encore une fois et une autre

Est-ce moi

et puis seulement une

une dernière fois

plus jamais?

Lié à: le col des contrebandiers.

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Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre !

8 septembre 2020

à J. W. K.

Suis la vague sur le pli de l’eau. Pars, ne te retourne pas. Hier est mort.

Des abysses a jailli le chant de la sirène, limpide et sincère, pur et franc.

Le temps, hélas, s’étiole et file… Laisse ma voix éclairer ce jour, il est si beau

Fuis les mystères qui séduisent et trompent ton coeur esseulé

L’horizon ne borne plus le regard. Vois plus loin

Saute, abandonne-toi. Tu es le lion intrépide et confiant

Sur l’écume du fjord, des poussières d’éternité ont scintillé; une dernière fois, sur l’écume du fjord, l’hymne s’est élevé :

Hallelujah, Hallelujah, l’étoile guide tes pas. Hallelujah, Hallelujah, c’est si beau de s’aimer.

Le titre est en hommage au Cimetière marin de Paul Valéry et de ma chère amie Monique Le Pailleur. Ce poème a été écrit en respectant les contraintes définies par l’Oulipo. Dans ce cas précis, il s’agit de la contrainte du bel absent.

Lié à: le lac bénit.

Minautore

7 septembre 2020

La pire saloperie que puisse vous faire un cauchemar, c’est de vous donner l’illusion de sa propre conscience et de continuer à en être un! 

Daniel Pennac

Il y a des rêves délicieux où tout est pour le mieux mais ces rêves ont une existence éphémère et nous sommes toujours déçus au réveil de constater qu’ils nous ont trompés. Il y a aussi les rêves qui nous assaillent, s’agrippent et nous font vivre de terribles heures d’angoisse : ces rêves-là sont infatigables. Ils vous traquent toutes les nuits et restent fidèles à votre sommeil. De ces rêves, vous êtes heureux de vous défaire au matin, et la réalité vous surprend par son calme et sa douceur. 

Durant toute mon enfance, je fus abonnée à ces songes barbares et impitoyables. Il en existait sûrement quelques-uns reposants et heureux dans l’espace de mes nuits mais ma mémoire les a effacés. Pourtant, ce n’était ni l’orage menaçant avec les roulis du tonnerre et les éclats de la foudre, ni la peur du noir ou du silence de la nuit qui me terrorisaient. Non, ce n’était, je crois, aucun motif enfantin qui nourrissait mon imagination nocturne. Mon esprit ne parvenait pas expliquer cette peur tant elle était complexe.

L’histoire même de cette peur, le scénario qui se reproduisait chaque nuit, je pouvais les dire facilement, mais l’emprise des décors, elle, m’affolait. C’était une figure géométrique, un dessin d’architecte, de bâtisseur fou, l’idée même de l’absolu, de la solitude infinie, de la mort aussi. Pour échapper à cette image qui, chaque nuit, devenait plus présente et plus précise, je me réfugiais au fond de mon lit. Au matin, ma mère apercevait deux pieds roses sur l’oreiller et découvrait ma tête enfouie sous une montagne de peluches destinées à me protéger de mes agressions nocturnes. Chaque matin, elle me demandait comment je pouvais réussir à respirer et s’inquiétait de me retrouver un de ces matins morte étouffée.

Le cauchemar qui m’habitait avait toujours les mêmes allures. Il commençait ainsi : je me trouvais dans ma chambre tranquillement installée à lire. La porte de ma chambre était fermée, rien d’alarmant ne me troublait. Puis je sentais une présence hostile se rapprocher. Pour la fuire, j’ouvrais la porte de ma chambre et, au lieu de l’habituelle salle à manger, se trouvait un immense couloir sur lequel donnaient des centaines de portes toutes semblables. Pour échapper aux créatures que j’avais surnommées les monstres, je choisissais une des portes au hasard , je l’ouvrais, je la refermais soigneusement en veillant à barrer tous les verrous. Et de nouveau, un couloir avec d’autres portes. Je renouvelais l’opération : choisir une porte, ouvrir la porte, la refermer, la verrouiller, et encore un couloir et encore des portes. L’espace perdait toute valeur : tout se ressemblait. Malgré ma fuite, malgré les verrous, malgré le choix aléatoire des portes, la présence hostile qui m’avait surprise dans ma chambre continuait à me suivre. Elle passait les portes, elle se moquait des verrous, du hasard du choix des portes et des couloirs. Elle me poursuivait sans relâche où que j’aille.

Je m’arrêtais parfois, trouvant derrière une porte, un placard où je pouvais m’enfermer, où j’espérais échapper aux monstres. Mais ils me retrouvaient toujours. Il me fallait alors repartir, choisir d’autres portes, inlassablement jusqu’à ce que le jour se lève et que je me réveille.

Je ne suis toujours pas en mesure d’expliquer ce rêve. Je sais seulement aujourd’hui qu’il reproduisait le schéma complexe et subtil du labyrinthe. Celui-ci était infini et personne ne l’habitait, sinon moi et ces monstres, qui d’ailleurs ne devaient être qu’un.

Lié à: le roc d'enfer.

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L’ancestrale

23 août 2020

Ce poème a été composé par mon papa, Robert Couzon, le 21 août 2020, touché par mon émotion au moment de quitter pour toujours cette maison dont la restauration a été toute une aventure. Merci à tous les artisans et amis qui m’ont aidée et soutenue dans cette entreprise audacieuse mais tellement riche d’apprentissages de toutes sortes.

L’ancestrale

Du ciel est tombée une larme
Au toit pointu de ma maison.
Il est rompu, soudain, le charme
Qui l'habitait, chaque saison.
J'avais mis dans son cœur de pierre
Mes joies, mes peines et mes passions.
J'y ai aimé, hors les frontières
Et même plus que de raison.
Quand le vent froid et les tempêtes
Nous jetaient sous sa protection,
Je savais que la maisonnette
Avait vu pires conditions.
Si ses murs avaient la parole
Pour nous livrer tous leurs secrets
Ils en diraient des choses folles
Portées loin par un vent mauvais.
Mais aujourd'hui, moi, je te pleure
Dans un dernier regard lointain
En ne gardant que le bonheur
Que tu m'offrais chaque matin.

Lié à: le Suet.

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À l’aube de ta bouche

27 juillet 2020

À J. W. K.

Heureux les amants séparés
Et qui ne savent pas encor’
Qu’ils vont demain se retrouver
Heureux les amants séparés

Heureux les amants épargnés
Et dont la force de vingt ans
Ne sert à rien qu’à bien s’aimer
Heureux les amants épargnés

Heureux les amants que nous sommes
Et qui demain loin l’un de l’autre
S’aimeront s’aimeront
Par-dessus les hommes

Heureux, Jacques Brel

J’ai marché sur le chemin dans la lande déserte en direction des falaises de craie. Leur blancheur immaculée sous la Lune faisait comme un linceul qui se dressait contre les flots noirs de l’océan. Il y avait le vent agitant les bruyères et sifflant sur l’écume. Il y avait le tumulte de la nature sauvage et indomptée. Il y avait mon coeur battant la chamade. Que trouverais-je au bout du chemin? Quel avenir pour moi, désormais?

Une étoile avait brillé plus fort un court instant dans le ciel. Était-ce le signe de la mort d’un monde ou l’étincelle qui précédait la naissance d’un nouveau?

Je marchais lentement, sans craindre la morsure du vent sur ma peau à peine couverte ni les bruits étranges et inquiétants qui surgissaient de nulle part. Tu m’avais donné rendez-vous.

Sur le chemin sinueux qui menait à la baraque, mes sandales laissaient leurs empreintes quelques instants : des traits en forme de flèches qui n’indiquaient qu’une direction. Avancer, un pas devant l’autre, portée par la patience; encore quelques mètres et j’y serais.

La chaumière était là depuis des centaines d’années, tenant encore debout, malgré tout. Elle avait une allure singulière avec ses murs légèrement inclinés, ses volets bleus dépareillés et son toit de chaume dans lequel les linottes avaient fait leur nid. À l’intérieur, ses murs étaient imprégnés de l’odeur des embruns et la fraîcheur qui y régnait apaisait les esprits les plus échauffés.

Tu m’attendais, assis sur le petit banc de pierre, ta silhouette se découpait sur le mur de grès. Calme et silencieux comme à ton habitude, ton regard suivait ma progression. Chacun de mes pas me rapprochait de ton désir.

Plus qu’un mètre. Je me suis arrêtée. Tu t’es levé. Nous sommes restés un long moment nous fixant intensément, sans dire un mot. Le vent faisait danser l’étoffe de ma robe me donnant l’aspect irréel d’une fée. Tu as dit : «Tu es belle, Pili Pili, et la Lune donne une couleur plutôt jolie à tes cheveux.»

Tu m’as tendue la main et m’a attirée contre toi et puis tu m’as enveloppée de tes bras. Il faisait bon, là… Mon nez dans ton cou, ma tête contre ton épaule forte et rassurante. Mes yeux se sont mouillés. J’étais comme une enfant avec un chagrin si grand… Tes bras m’ont serrée plus fort, ta main caressait doucement mes cheveux. «Laisse-toi aller, Alice. Tout va bien maintenant. C’est fini. Tout va bien aller maintenant.»

Tu m’as portée jusqu’à la chambre. Lentement, tu as fait glisser ma robe. La pâleur de ma peau contrastait avec l’ébène de la tienne. J’ai pris ton visage entre mes mains comme un joyau précieux. «Tu es beau.»

J’ai posé mes lèvres délicatement sur les tiennes et je les ai embrassées. J’ai pris mon souffle à l’aube de ta bouche. Dans nos regards, le reflet étourdissant d’un amour fou.

Et puis… les minutes et les heures ont tourné sur le cadran de la vieille horloge de la cuisine. Seul le carillon marquait le passage du temps. Nous, on s’en foutait du passé. On se conjuguait au présent et au futur. On se buvait, on se dévorait, on n’était plus qu’un jusqu’à ce que la jouissance nous laisse pantelants, mais repus, comblés.

Nous avons traversé la nuit et le jour ainsi. Et puis d’autres encore….

Avant de nous quitter, je t’ai demandé de ma petite voix : «C’est ça, vivre d’amour et d’eau fraîche ?» Tu as répondu avec un baiser.

Je n’avais jamais connu un tel bonheur.

Lié à: le lac bénit.

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