Le Sazerac, le plus vieux cocktail français d’Amérique

19 juin 2021

Un pessimiste voit un verre à whisky à moitié plein, un optimiste voit un verre à whisky à moitié vide. Moi, je l’aime quand il contient un Sazerac!

Nathalie Couzon

Saviez-vous que même James Bond a renoncé à son Martini lorsqu’il a visité la Nouvelle-Orléans dans Live and Let Die (Vivre et laisser mourir) pour déguster la typique boisson locale! Je vous rappelle la scène : Bond entre dans un bar appelé Fillet of Soul avec son homologue de la CIA, Felix Leiter, et demande un bourbon sans glace. Leiter change la commande pour deux Sazerac en répliquant : « Où est votre sens de l’aventure, James ? C’est la Nouvelle-Orléans, relaxez!»

Live and let die (1973)

Le 23 juin 2008, l’Assemblée législative de la Louisiane a immortalisé ce cocktail en tant que cocktail officiel de la Nouvelle-Orléans. Un musée, The Sazerac House, a même ouvert ses portes en 2019 pour permettre aux curieux de découvrir cette histoire, riche en rebondissements et, il faut bien l’admettre, pour le moins unique pour un cocktail!

C’est l’histoire d’un cocktail…

Alors, voici l’histoire de ce coktail légendaire qui a traversé les siècles. En 1793, dans la partie ouest de l’île d’Hispaniola, qui s’appelait à l’époque Saint-Domingue (et maintenant Haïti), l’esclavage fut aboli, après la rébellion menée contre l’autorité des colons français et riches propriétaires de plantations esclavagistes. Ceux-ci durent quitter l’île et plusieurs d’entre eux se rendirent à la Nouvelle-Orléans (Louisiane) qui était à ce moment sous l’emprise des Espagnols. Antoine Amédée Peychaud, apothicaire et fils de médecin, originaire de Bordeaux en France, était l’un d’eux. Il fit partie de la vague de migration de la révolution de Saint-Domingue vers la Nouvelle-Orléans. Il apporta avec lui une recette aux herbes amères qui, selon certaines versions de l’histoire, était un legs de son père et, selon d’autres, une mixture qu’il aurait lui-même élaborée pour guérir ses patients.

Toujours selon la légende, Peychaud, pour mieux faire passer le «remède» dont l’amertume pouvait rebuter, le mélangeait avec du sucre, un peu d’eau et une bonne rasade de cognac, son préféré, en l’occurrence celui de la maison Sazerac de Forge & Fils, donnant ainsi naissance et son nom au célèbre cocktail emblématique de la ville de la Nouvelle Orléans.

On raconte aussi qu’au milieu du XIXème, plusieurs bars locaux servaient à leurs clients les amers de la pharmacie Peychaud, dont le Sazerac Coffee House, aujourd’hui appelé Sazerac House, dont le propriétaire était agent pour les cognacs et brandys de la maison Sazerac de Forge & Fils.

D’autres récits attribuent la paternité du Sazerac à Thomas Handy, propriétaire du Sazerac Coffee House vers 1871, ou encore à Vincent Miret et Bill Wilkinson dans les années 1890. Mais dans les faits, la première mention connue d’un cocktail Sazerac daterait de mars 1899, lorsqu’un magazine de fraternité, l’Alpha Tau Omega Palm, publie un article où on chante les louanges du fameux cocktail. La recette est également apparue dans un livre intitulé The World’s Drinks and How to Mix Them de William « Cocktail Bill » Boothby en 1900. Pourtant, en 1876, presque les mêmes ingrédients sont cités à l’exception d’un trait d’absinthe au lieu d’un rinçage, dans une recette de cocktail de whisky amélioré du livre de Jerry Thomas, How to Mix Drinks, paru en 1862.

La différence avec la recette des premiers récits est que le cognac aurait été remplacé par du rye whisky pour plusieurs raisons : à compter des années 70, le phylloxéra décime le vignoble français, et notamment le cognaçais. De plus, le whisky de seigle américain plait davantage aux goûts des Américains qui préféraient le « red likker à n’importe quel brandy au visage pâle », mais aussi parce qu’il était difficile de s’approvisionner en brandy français pendant la guerre de Sécession.

La recette évolue encore soi-disant, avec Léon Lamothe, barman d’un autre haut lieu de la Nouvelle-Orléans, qui, à la fin du XIXe siècle, sûrement influencé par la popularité de l’absinthe dans les milieux intellectuels, bohème et tendance de l’époque, ajoute au cocktail un rinçage du verre à l’absinthe, appelée la « Fée verte » pour sa couleur. Ce serait donc Lamothe qui fit du Sazerac ce qu’il est aujourd’hui. Malheureusement, Miret décède en 1899 et Wilkinson en 1905 et ne laissent aucun écrit pour infirmer l’une ou l’autre des versions existantes. C’est une chance en fin de compte car s’ils l’avaient fait, je n’aurais pas eu le plaisir d’écrire cet article!

Malheureusement, l’absinthe sera interdite en 1912 dans de nombreux pays du monde parce qu’on lui reproche de produire des effets hallucinogènes. Cette interdiction signifia alors pour le Sazerac que la recette devait encore évoluer et qu’il ne pourrait être préparé désormais qu’à l’aide d’un substitut légal, tel une liqueur anisée comme l’Herbsaint (une liqueur inventée à la Nouvelle-Orléans qui dispose du même profil organoleptique) ou le Pernod. Le Sazerac tomba alors dans l’oubli; ce n’est qu’à partir de 1998 qu’il retrouva ses lettres de noblesse sur le zinc quand la production d’absinthe fut de nouveau autorisée.

Ma préférence à moi

Le Sazerac est mon cocktail préféré simplement parce qu’il est authentiquement un cocktail aromatique à souhait et intense en goût. Au nez, une version au cognac exhalera un joli boisé complété par les notes herbacées et les saveurs de bonbon distinctives de l’absinthe. Ces parfums et saveurs, combinés à la qualité botanique des amers Peychaud et Angostura, agrémenteront subtilement cette boisson et la transformeront en un cocktail qui vous ramènera à la grandeur de la vieille Nouvelle-Orléans. Dépaysement assuré!

Si vous optez pour la version au whisky, ce sera alors des notes plus épicées qui vont charmer vos papilles. Et si vous cherchez plutôt un whisky moelleux et délicieux, délicat et complexe, bref, le parfait allié de ce cocktail, choisissez le Sazerac Rye pour l’authenticité. Attendez-vous alors à un profil de saveurs sucrées et fruitées (entre autres zeste d’orange, clou de girofle, raisin sec, abricot, prune, vanille et réglisse noire) complété par une finale épicée de seigle.

Pour ma part, si plutôt que les mots pour vous parler de ce nectar, j’avais été habile avec des pinceaux, j’aurais choisi des palettes de violet, de vert et d’or pour représenter le paysage qui se dessine devant mes yeux quand, sur mon palais, comme Baudelaire l’exprime si bien dans Correspondances : « dans une ténébreuse et profonde unité, vaste comme la nuit et comme la clarté, les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »

Pour terminer, vous l’aurez compris, j’adore ce cocktail! Ses origines floues, plurielles et métissées, en fait très « Louisiane » puisque il est un mélange très réussi d’influences françaises et américaines, laissent libre cours à mon imagination et à de futures histoires à écrire… Ne soyez donc pas surpris si vous voyez bientôt surgir sous ma plume un personnage coloré qui, selon qu’il sera français ou américain et chauvin ou pas, se concoctera un Sazerac en y ajoutant cognac ou whisky, ou pourquoi pas, les deux en même temps tant qu’il respecte l’équilibre des deux onces d’alcool de la recette!

Alors la recette?

Comme le pâté à la viande ou tout autre cipaille au Québec, vous l’avez compris la recette exacte pour préparer un Sazerac diffère d’un endroit à l’autre. Cependant, Stanley Clisby Arthur dans son livre publié en 1938, Famous New Orleans Drinks and How to Mix ‘Em, a codifié une liste standardisée d’ingrédients essentiels : 1 sucre en morceau, quelques traits d’amer aromatique Peychaud’s et Angostura, du whisky de seigle, un rinçage à l’absinthe, 1 tranche de zeste de citron pour en exprimer les huiles. Le Peychaud donne au Sazerac une jolie couleur rose rougeâtre. Il souligne également l’anis de l’absinthe, avec une connotation « tutti-frutti ». 

En surfant sur le net, j’ai trouvé des recettes qui présentent un autre ingrédient secret, à savoir une demi-cuillère à café de liqueur de marasquin. Pour ma part, n’étant pas trop puriste et plutôt créative, je me suis amusée à remplacer le cognac et le whisky par du Rhum Ste-Marie dont les notes de fruits confits, la touche subtile de vanille et la finale gourmande et chaleureuse de poivre et d’épices se marient bien avec les autres saveurs du cocktail. Vous pourriez aussi ne pas jeter l’absinthe après le rinçage pour garder la saveur de l’absinthe en arrière-plan. Enfin, au lieu de mettre un sirop de sucre, un sirop de framboise pourrait se combiner à merveille avec l’absinthe, le Peychaud et le citron.

  • Dans un verre à mélange, déposez un morceau de sucre ou versez ¼ once de sirop simple.
  • Ajoutez 4 traits de Peychaud’s bitter et 1 trait d’Angostura
  • Écrasez le sucre s’il y a lieu.
  • Ajoutez beaucoup de glaçons et versez 2 onces de rye whisky
  • Remuez, filtrez et versez dans un verre Old fashioned bien refroidi et rincé avec de l’absinthe.
  • C’est un cocktail à remuer et non à secouer. Le verre aura été préalablement refroidi avec des glaçons qui sont ensuite jetés. N’utilisez jamais de la glace dans le cocktail lui-même. Bien refroidir le verre permettra à l’absinthe de l’enrober magnifiquement.
  • Exprimez les huiles d’un zeste de citron sans le déposer dans le verre.
  • Frottez le zeste de citron autour du bord du verre.
  • Décorez de zeste de citron et dégustez.

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