Cela ne peut pas être tout ce qu’il y a

16 août 2023

À Jonathan

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Souffle brusque du vent indocile

Qui n’en fait qu’à sa tête

Acrobates patientes ou esclaves serviles, les herbes courbent l’échine

S’agitent et s’affolent sans répit 

Dans une danse qui s’affranchît du tempo

Une horde hirsute et indisciplinée assaille mon visage où s’enferme mon regard 

Moi, debout sur la rive, je m’enracine

Mes deux pieds plantés en X

Je suis là 

Le coeur dynamité

Les pensées qui s’arrachent comme un Boeing dans le ciel

Les cris ravalés plus profond que ma gorge

Dans mon ventre où je voudrais qu’ils s’abîment
Une ambulance passe

Sirènes hurlant et gyrophares clignotant

Mais la douleur occupe mes oreilles 

Il en faudrait cent mille pour remplir le silence

Serait-ce assez pour braver le vide?
Je suis insensible 

Aux froufrous des feuilles

A la lumière du fleuve 

A la chaleur du soleil

Au bonheur des passants
Cette chienne, la salope jubile

La mort m’a prise par surprise.

Lié à: le roc d'enfer.

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Non-retour

14 juillet 2022

J’ai essayé d’établir le droit d’oser tout.

Paul Gauguin

Il suffirait de presque rien, peut-être 25 années de moins, pour qu’ils se disent « je t’aime ».

Adapté de Serge Reggiani

À Jonathan W. K.

45° 30′ 6.08″ N 73° 34′ 2.122″ W : Montréal.

37° 18′ N, 26° 44′ E : Lipsi.

Sur la carte qui s’affiche à l’écran, tel un aiguilleur du ciel, mon esprit a tracé entre ces deux points une ligne. La ligne survole un océan, un continent puis une autre mer. Elle est longue de 7843 km. À bien y regarder, ce n’est pas tout à fait une ligne, c’est plutôt une corde que je m’obstine à tendre entre nous deux. Une corde que je tiens fermement, l’agitant vigoureusement chaque jour pour que tu en ressentes les vibrations. Mais ces dernières si vives à l’origine s’atténuent jusqu’à mourir à leur arrivée car la corde est molle dans ta main et les mots qu’elles transportent ne sont plus que murmures inaudibles quand ils te parviennent. Tu ne les entends pas, pas plus d’ailleurs que lorsque seulement un vol d’oiseau nous sépare à Montréal. Que je sois si loin ou tout près, rien ne change et rien ne changera jamais. Ma raison le sait. Elle le sait tellement qu’elle en devient folle. Mon cœur, lui, espère. Il espère encore, animé par la foi ardente qui inspirait jadis les moines soldats. Qui est le plus fou?

Je suis sortie sur le pont avant du catamaran. Rapidement, l’île de Kos rapetisse pour n’être plus qu’une masse informe puis un minuscule point auquel le sillage blanc de l’écume laissée par les moteurs bruyants du bateau ne nous reliera bientôt plus. Les embruns salent mon visage et laissent des cristaux sur ma peau. Je dois lutter et m’agripper solidement à la rambarde pour rester debout.

Au loin, par delà l’horizon bleuté de la mer Égée, c’est la découpe escarpée d’îles sauvages et inhospitalières qui s’imprime dans ma rétine. Naturellement alors, comme invité par l’aridité du paysage, tu viens hanter mon esprit. D’abord, ton visage, impassible et grave où pas un muscle ne bouge, tel une forteresse imprenable, à l’épreuve de toute émotion, insensible aux baisers que mes lèvres, en quête d’un passage vers ton cœur, déposent sur ta bouche, sur ton nez, sur tes joues comme de petits cailloux blancs. Puis ton regard sérieux et sombre où seulement un léger clignement des paupières permet de te distinguer d’une statue de marbre.

Je ferme les yeux, pensant trouver une échappatoire, priant pour que ton visage et tes yeux disparaissent, mais en vain. C’est ton corps sculpté et ferme, fringant et superbe, qui vient m’obséder maintenant. Ma tête se charge d’images érotiques : tous ces souvenirs encore trop frais dans ma mémoire…. le désir qui naît au creux de mes reins quand tu t’approches de moi, le tremblement de mes cuisses qui sertissent tes hanches comme un joyau précieux quand on fait l’amour, la jouissance qui nous laisse sans voix, sans force, à la dérive à côté l’un de l’autre.

Îlots après îlots, le paysage défile devant mes yeux, monotone et terne tellement il se répète dans la succession des blocs de granit beige, parsemés de menus buissons et de broussailles indisciplinées. C’est seulement le contraste important de ces amas rocailleux avec les tonalités changeantes de la mer qui retient mon attention. Je prends quelques clichés, souvenirs de cette première traversée dans les îles du Dodécanèse. Sur les photos, singulièrement, l’iris de mes yeux s’est ajusté avec les bleus de l’onde, qui passent du turquoise au marine, pour se confondre avec eux. Mes oreilles s’imprègnent des sons ambiants : elles perçoivent le claquement des vagues sur la coque du bateau, le vrombissement des moteurs et les voix diffuses des passagers agglutinés sur le pont arrière. Pourtant, c’est le silence qui s’impose, ce silence que tu as toujours installé entre nous, long, profond comme un abîme qui engloutit tout, comme un linceul dont se parent mes mots pour un dernier voyage. Je ne m’y ferai jamais… J’ai besoin de vie, de mouvement, d’action. Pas de cette attente interminable. Pas de cette inertie semblable au trépas. J’ai besoin de réponses à mes questions, j’ai besoin d’entendre ta voix. Des vers de Baudelaire surgissent de ma mémoire…  Homme, toujours, tu chériras la mer. La mer est ton miroir. Tu contemples ton âme dans le déroulement infini de sa lame et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer…

Le bateau s’est éloigné des côtes et la mer est noire maintenant. Mon esprit se laisse couler. Que vais-je trouver?

Des larmes creusent des rigoles sur mes joues salées. Je suis incapable de les contenir. Au même instant, la cicatrice sur mon sein gauche se réveille; la brûlure est intense. Je respire profondément tout en posant une main sur ma poitrine pour calmer la douleur. Peine perdue : la brûlure est si vive qu’elle me plie en deux et que j’en suffoque. Que se passe-t-il? Compter, occuper mon esprit; j’inspire. Compter, captiver mes pensées : un, deux, trois, quatre, cinq. J’expire. Recommencer : un, deux, trois, quatre, cinq. Encore une fois. Mes yeux glissent sur les flancs de l’île. Un, deux, trois, quatre, … et tout à coup, là, tapie dans la paroi abrupte de Kalymnos, la gueule d’un lion apparaît. Son regard perçant me fixe, implacable et dur. À sa gauche, les méandres de la végétation ont dessiné un cœur.

D’autres îlots arides, tous brûlés par le soleil, défilent ensuite devant mes yeux. Rien ne peut survivre ici. Rien. Le miracle de la vie et de l’amour ne peut être que l’affaire des Dieux.

Le bateau poursuit sa route vers Léros. La distance maintenant déforme le lion aperçu dans le flanc de la montagne. Cependant, cette vision a marqué mon esprit à tel point que je scrute désormais chaque parcelle de terre pour y déceler d’autres signes.

C’est en quittant Léros que je décrypte le message du lion. À la pointe de l’île que le catamaran croise à bâbord, c’est un visage qui surgit des amas de pierre, un visage prisonnier du roc à jamais. Je comprends alors que mon salut est là, dans la matière éternelle de chacune de ces îles : faire du grès solide et tenace ton tombeau, un labyrinthe dont aucune princesse ne t’aidera à sortir. Tu y seras prisonnier tant que mon cœur saignera, tant qu’il sera épris de toi, tant que ma mémoire sera capable de restituer parfaitement ton image. Il ne peut en être autrement : tu dois mourir pour que je survive.

Mon regard se perd dans les remous laissés par le navire. La blancheur de l’écume me rappelle Montréal, ses rues enneigées.  Je ferme les yeux… 

Il est tard, c’est encore l’hiver pour quelques semaines. Dehors, un mélange de grésil et de pluie rend les rues glissantes et la marche hasardeuse. Métro Snowdon, le quai est presque désert. Tu entends la rame qui approche. Tu as hâte de rentrer chez toi après cette nuit intense passée aux urgences du Jewish.

La station s’emplit tout à coup de la présence imposante des wagons sur les rails. Bruit sec des portes qui s’ouvrent, comme un coup de pistolet. Et tout à coup, nous, face à face comme dans un duel à Ok Corral. Nos regards qui se croisent, surpris de se trouver là. Nos regards qui hésitent, troublés, et puis qui s’élancent, s’attachent irrésistiblement jusqu’à se fondre l’un dans l’autre. Le temps n’existe plus. Le monde non plus. Il n’y a que nos yeux enlacés comme dans un tango langoureux, captifs du mystère qui les réunit, présents à chacun, avides et impatients de se découvrir, cherchant un apaisement à leurs douleurs et brisant enfin leurs solitudes.

Dans l’espace qui nous sépare encore, une toile invisible se tend entre nos regards, où des images s’enchaînent rapidement et nous emmènent loin de la grisaille de cette nuit de mars : collines verdoyantes, jardins luxuriants, savane africaine se mêlent sans aucun respect des conventions et composent un tableau coloré, incongru et fauve.

Mouvement mutuel de nos corps l’un vers l’autre : tu entres dans le wagon. Moi, j’ai un pied vers la sortie. Je fais un pas. Nos corps se frôlent. Deux pas. Je sens ton regard brûler ma nuque. Trois. Ralenti. Quatre. Je suis sur le quai. Cinq. Arrêt sur image. Et puis, juste avant que les portes ne se referment, je me retourne. Ton regard est toujours là… ma bouée. Alors, je m’élance pour m’y accrocher comme un naufragé dont c’est la dernière chance avant le trépas. J’y mets tellement de vie dans cet élan que je me trouve propulsée dans le wagon sans pouvoir m’arrêter. Tes bras s’ouvrent, ils m’évitent la chute. J’ai 20 ans, toi 23. Alice et Jonathan ont toute la vie devant eux pour s’aimer.

La corne du navire entrant au port me ramène brutalement à la réalité. Grésillement du disque sur la platine. Il déraille, se met à sauter. En fait, ça ne s’est pas du tout passé comme ça.

J’ouvre les yeux : Lipsi est là, devant moi, blanche et bleue, immaculée, lumineuse, idyllique. Dans quelques minutes, le bateau accostera. Pendant qu’il manoeuvre lentement vers le quai et que j’attends dans l’escalier qui mène au pont supérieur, je découvre sur une vieille carte les noms des îles de l’archipel : Kos, Leros, Pâtmos, Kalymnos, Karpathos, Symi, Rhodes, Tilos, Nissyros, Kastelorizo, Astypalée, Kassos, Chalki, Lipsi. Je les prononce lentement, enthousiaste et inspirée comme le ferait la pythie de Delphes avec les litanies d’un rite antique. Quatorze îles comme autant de sarcophages éternels où je scelle pour toujours une partie de ton corps. Lipsi, l’île de Calypso, la dernière de mon voyage, sera le tombeau de ton cœur.

Lié à: le roc d'enfer.

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Never siempre

23 avril 2021

À J. W. K.

Hoping for a life more sweeter
Instead I’m just a story repeating

Sweeter – Leon Bridges

Et toi, tu dors
Du sommeil du juste
Tranquille et lisse
Pourquoi en serait-il autrement
D’ailleurs
Pourquoi troubler ton souffle si doux
Pourquoi t’alarmer
Pourquoi
Pour quoi
Tu es si jeune.
Moi, j’ai les yeux qui roulent
Sur la peinture défraîchie du plafond
Attendant l’aube
De désirs en délires
Avec l’envie rêveuse et vorace
Avec l’esprit tranchant comme un glaive
Avec l’espoir d’un jour nouveau
Qui ne viendra pas.

Lié à: le col des contrebandiers, le roc d'enfer.

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Minautore

7 septembre 2020

La pire saloperie que puisse vous faire un cauchemar, c’est de vous donner l’illusion de sa propre conscience et de continuer à en être un! 

Daniel Pennac

Il y a des rêves délicieux où tout est pour le mieux mais ces rêves ont une existence éphémère et nous sommes toujours déçus au réveil de constater qu’ils nous ont trompés. Il y a aussi les rêves qui nous assaillent, s’agrippent et nous font vivre de terribles heures d’angoisse : ces rêves-là sont infatigables. Ils vous traquent toutes les nuits et restent fidèles à votre sommeil. De ces rêves, vous êtes heureux de vous défaire au matin, et la réalité vous surprend par son calme et sa douceur. 

Durant toute mon enfance, je fus abonnée à ces songes barbares et impitoyables. Il en existait sûrement quelques-uns reposants et heureux dans l’espace de mes nuits mais ma mémoire les a effacés. Pourtant, ce n’était ni l’orage menaçant avec les roulis du tonnerre et les éclats de la foudre, ni la peur du noir ou du silence de la nuit qui me terrorisaient. Non, ce n’était, je crois, aucun motif enfantin qui nourrissait mon imagination nocturne. Mon esprit ne parvenait pas expliquer cette peur tant elle était complexe.

L’histoire même de cette peur, le scénario qui se reproduisait chaque nuit, je pouvais les dire facilement, mais l’emprise des décors, elle, m’affolait. C’était une figure géométrique, un dessin d’architecte, de bâtisseur fou, l’idée même de l’absolu, de la solitude infinie, de la mort aussi. Pour échapper à cette image qui, chaque nuit, devenait plus présente et plus précise, je me réfugiais au fond de mon lit. Au matin, ma mère apercevait deux pieds roses sur l’oreiller et découvrait ma tête enfouie sous une montagne de peluches destinées à me protéger de mes agressions nocturnes. Chaque matin, elle me demandait comment je pouvais réussir à respirer et s’inquiétait de me retrouver un de ces matins morte étouffée.

Le cauchemar qui m’habitait avait toujours les mêmes allures. Il commençait ainsi : je me trouvais dans ma chambre tranquillement installée à lire. La porte de ma chambre était fermée, rien d’alarmant ne me troublait. Puis je sentais une présence hostile se rapprocher. Pour la fuire, j’ouvrais la porte de ma chambre et, au lieu de l’habituelle salle à manger, se trouvait un immense couloir sur lequel donnaient des centaines de portes toutes semblables. Pour échapper aux créatures que j’avais surnommées les monstres, je choisissais une des portes au hasard , je l’ouvrais, je la refermais soigneusement en veillant à barrer tous les verrous. Et de nouveau, un couloir avec d’autres portes. Je renouvelais l’opération : choisir une porte, ouvrir la porte, la refermer, la verrouiller, et encore un couloir et encore des portes. L’espace perdait toute valeur : tout se ressemblait. Malgré ma fuite, malgré les verrous, malgré le choix aléatoire des portes, la présence hostile qui m’avait surprise dans ma chambre continuait à me suivre. Elle passait les portes, elle se moquait des verrous, du hasard du choix des portes et des couloirs. Elle me poursuivait sans relâche où que j’aille.

Je m’arrêtais parfois, trouvant derrière une porte, un placard où je pouvais m’enfermer, où j’espérais échapper aux monstres. Mais ils me retrouvaient toujours. Il me fallait alors repartir, choisir d’autres portes, inlassablement jusqu’à ce que le jour se lève et que je me réveille.

Je ne suis toujours pas en mesure d’expliquer ce rêve. Je sais seulement aujourd’hui qu’il reproduisait le schéma complexe et subtil du labyrinthe. Celui-ci était infini et personne ne l’habitait, sinon moi et ces monstres, qui d’ailleurs ne devaient être qu’un.

Lié à: le roc d'enfer.

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La main sur ton coeur

1 septembre 2017

À B. K.

Toi, qu’as-tu fait?

 

La main sur ton coeur

tu avais promis…

 

La main sur ton coeur

tu avais dit

les plus doux

les plus beaux

les plus joyeux

les plus lumineux des mots.

 

Toi, qu’as-tu fait?

 

La main sur ton coeur

il avait cru tes promesses.

 

Toi, qu’as-tu fait?

 

La main sur ton coeur

il avait cru

les plus doux

les plus beaux

les plus joyeux

les plus lumineux des mots.

 

Aujourd’hui

tous les mots

les plus doux

les plus beaux

les plus joyeux

les plus lumineux

tous les mots

ont perdu leur sens.

 

Aujourd’hui

les plus doux

les plus beaux

les plus joyeux 

les plus lumineux

sont vides

sont vains

plus aucun ne fait écho

dans son coeur.

 

Tu les as trahis

les plus doux

les plus beaux

les plus joyeux

les plus lumineux des mots.

 

Tous les mots

tu les as trahis.

 

Pourtant

la main sur ton coeur

tu les avais dits.

 

Pourtant

la main sur ton coeur

rappelle-toi la main sur ton coeur

tu avais promis…

 

Pourtant

la main sur ton coeur

rappelle-toi la main sur ton coeur

il les avait crus.

 

Aujourd’hui

la main sur son coeur

j’y cherche l’espoir d’un battement

un battement sans prétention

un battement sans ambition

un simple battement de vie

un battement d’espoir

un battement d’aile pour provoquer le grand changement.

 

Toi, que fais-tu?

 

N’entends-tu pas

au-delà de l’océan

sa douleur

qui gronde et tempête

sa douleur

qui brûle et ravage

sa douleur

sa douleur.

 

J’ai ma main sur son coeur.

J’ai sa main sur mon coeur.

 

Rappelle-toi la main sur ton coeur.

 

 

 

Lié à: le roc d'enfer.

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Miroir de l’âme

24 juillet 2017

Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Charles Baudelaire, L’homme et la mer, Les Fleurs du mal

 

À B. K.

Nous marchons côte à côte.

Toi, les mains dans les poches, souvent. Tu avances.

Moi, je prends ta main…. ou je m’accroche à ton bras. Tu acceptes l’étreinte.

Et puis, déferle sur nous à contre-sens, le flot des touristes. Il nous sépare.

Tes doigts s’échappent. Ma main naufragée surmonte la vague, fournit un autre effort, s’élance encore. Allez! Une, deux, trois brasses, allez, tu es là!

Elle lutte contre la désinvolture et l’indépendance affirmée, ma main. Une autre fois, elle s’agrippe… jusqu’au prochain ressac où tu prends le large.

Elle ne se fatigue pas, ma main. Inlassablement, elle recommence. Sa meilleure voile est la patience. En cape et de calme, elle porte en plein. Elle s’amarre contre vents et marées. Pour vergue, elle a l’espérance, et la confiance est son palanquin.

Entre deux silences, des bonheurs sublimes. Entre deux ports, l’espoir d’un séjour. Entre deux marées, l’envie de jeter l’ancre, l’envie d’une île, de la terre ferme …

Tu es sur le quai. Tu parles d’escale prolongée, mais ton regard s’évade sur l’horizon, ton corps frémit à l’appel du vent du large.

Je ne suis pas une sirène. Ma main ne peut lutter.

Tu seras bientôt reparti…

C’est ainsi.

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Hommage au trait

14 août 2014

La tzigane

La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance

L’amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l’oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Avé

On sait très bien que l’on se damne
Mais l’espoir d’aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
À ce qu’a prédit la tzigane

Guillaume Apollinaire (1880 – 1918)

 

 

 

C’est un tout petit mot, 5 lettres, encadré par deux T. Comme pour fixer les limites, comme pour dire qu’au-delà des barres verticales des deux T, c’est terminé, qu’on passe à une autre ligne pour dessiner une autre figure. C’est un tout petit mot que le mot TRAIT, et pourtant…

… à l’étendue de mon bras, ma paume ouverte trouve ton visage : dans les mouvements infiniment lents des traits qu’ils y tracent, mes doigts apprennent ta peau patiemment. Je tire une à une des lignes fines et délicates qui se dressent comme un mur contre les élans impétueux de la ville et le brouhaha incessant de la vie. Mon coup de crayon est juste. Ça fait une jolie cage autour de ton visage, avec des barreaux délicats, et une porte, dont j’effacerai les traits pour te laisser respirer.

Tic tac, tic tac, l’aiguille marque par un trait notre fuite en avant et il y a bien assez d’horloges pour faire tourner les minutes au cadran des carrés. Tic tac, tic tac, trait mortel qui me rappelle que je vole chaque instant depuis notre départ. Tic tac, tic tac, trait perfide qui susurre que le voyage ne sera qu’une escapade. Tic tac, tic tac, trait cruel qui s’acharne : samedi, nos vies reprendront le lit de leur cours sans merci pour l’amour qui nous a menés là. Tic, tac, tic tac, trait d’union ou point final? Tic tac, tic tac, que sera sera…

Entre les tics et les tacs, elles sont précieuses ces minutes de silence où, dans l’air alangui de notre chambre de Manhattan, le rêve est possible, où la main hésite encore à tracer en pointillés les traits de notre futur, à évoquer en filigrane ce que sera notre destin.

Entre les tics et les tacs, elles sont intenses ces minutes. Si intenses que ma bouche se tait, laissant parler mes mains, mes yeux, mon corps auquel tu t’accroches comme un naufragé. Ton visage qui cherche refuge et mes seins qui sont là pour accueillir ta dérive. Ma bouche qui bécote ta tête et puis ton front et ensuite tes joues et aussi ton nez jusqu’à tes lèvres où se fondent nos souffles. Tu respires, une grande bouffée! D’un trait, tu te remplis. Enfin! Puis tu ouvres les yeux. Tu ne souris pas. Tu te dresses devant moi. Ton beau corps comme un pilier d’airain se découpe sur la blancheur des draps puis sur le lait de ma peau. Tu écartes mes cuisses et tu plonges en moi. Trait fatal : ton regard planté dans le mien est ton ancre dans le monde des vivants. Alors… Alors, plus rien n’existe. New York et ses gratte-ciels s’effondrent. Les lumières criardes de Times Square s’éteignent subitement. Les klaxons des taxis jaunes s’estompent et meurent. Le silence de Central Park en pleine nuit recouvre tout à coup la démesure de cette ville sans fin pour faire place à l’écho de mes cris qui grimpent et rebondissent sur les façades de verre. Tu investis mon territoire en maître absolu laissant à chacun de tes assauts les traces de ta conquête : l’empreinte de tes doigts qui serrent ma gorge quand nos regards se provoquent. La morsure de ta bouche sur mes lèvres que tu avales, que tu aspires gloutonnement, m’empêchant de les ouvrir pour te donner un baiser. Les marques de tes mains qui empourprent ma peau. L’espoir d’un avenir au creux de mes reins.

Trait pour trait, dent pour dent, oeil pour oeil, je me fous de tout : comme on se ressemble, on s’assemble. Plus on s’assemble, plus le trait se délie et plus notre passé devient flou. On lui tire notre révérence et on ébauche les traits d’un autre présent par plein de «Je t’aime» qui se déclinent en des variations à l’infini tandis que nos corps saisis et figés par le désir rendent nos visages aveugles et nos esprits sourds.

Je me lève, chancelante. Mon corps tremble encore de cet amour fou. Je m’éloigne du lit pour t’admirer. Tu es beau : sur tes bras, ton torse, ton front perlent des gouttes qui le font luire comme un diamant noir. Immobile, les yeux clos, tu as l’air mort. Je profiterais bien de ton abandon pour te croquer au fusain en petits traits vifs et immortaliser l’instant, mais ma main est lasse, elle t’a déjà tout donné. Ma gorge est sèche. Ma voix, non plus, ne sera pas capable de chanter davantage tes louanges, car «mille ans sont, à tes yeux, comme le jour d’hier, quand il n’est plus, Et comme une veille de la nuit. Tu les emportes, semblables à un songe, Qui, le matin, passe comme l’herbe.¹»

Alors, doucement, comme pour dire que ça suffit, la ville reprend ses droits. Elle entre sans frapper. Le soleil perce les voilages d’un trait lumineux. Ça fait un échiquier sur le sol. Le trait est aux blancs : c’est à mon tour de jouer. J’avance mon pion. C’est mat en deux coups. Le tiret a coupé le mot, la césure marqué la ligne. Trait d’union ou point final?

Point final.

 

 

Illustration : Le théâtre implacable du monde– Louis-Pierre Bougie

Vidéo : Bebe, Siempre me quedara

¹ Psaume 90

 

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Vingt… plus une pensées poisseuses d’une perverse narcissique

3 mai 2013

 

Ce texte a été écrit pour participer au Grand Prix de poésie de Radio-Canada.

Je me rends compte à quelque trente minutes avant la clôture des inscriptions que je n’ai pas envoyé de texte alors que je voulais le faire. Il fallait faire parvenir un poème ou un recueil de poèmes en vers ou en prose dont la longueur totale était comprise entre 400 et 600 mots. À 23h 55, mon texte est écrit, il compte 400 mots pile. Je transmets par voie électronique le tout à 23h57. Je respire… À minuit deux, je prends le temps de lire les règlements et je m’aperçois que le texte sans le titre devait avoir un minimum de 400 mots! Mon titre originel en comptait six… Mon texte fut donc disqualifié pour non-respect des règlements… Cela m’a donné l’occasion de le retravailler et de le publier dans mon espace personnel 😉

 

Vingt… plus une pensées poisseuses

d’une perverse narcissique


1. Vénérer les vernissages pour la flagornerie du flatteur qui y traine ses révérences éculées, sa langue sale et ses caresses de carnassier.

2. Tramer des complots malhabiles dans les arrière-cuisines là où se cachent les mal-aimés qui offrent leur panse aux puissances caverneuses.

3. Aviver une démente mais risible rancune pour le prix de son âme et de celle des autres. Tant pis! Qu’ils crèvent tous en enfer! Satan rit déjà… Ah! Ah Ah!

4. Mépriser la joie de vivre parce que le destin nous fait un pied de nez avec la bouche en cul de poule et qu’il a pris le mors aux dents.

5. Crier à tue-tête des insanités au voisin qui plante ses poteaux bleus même en été, symbole de l’hiver qui ne finit jamais dans ce pays blanc et froid.

6. Déguiser les poteaux en épouvantails à moineaux pour en oublier la laideur.

7. Avaler tous les soirs une pilule magique pour dormir comme la belle au bois dormant dont le prince ne porte définitivement pas de chapeau.

8. Se battre pour la justice parce qu’après tout le sang de Gavroche n’aura pas coulé pour rien sur les barricades des boulevards parisiens.

9. Gaver des cochons gras, sans même avoir l’opportunité d’en faire des saucissons.

10. Se souvenir qu’il n’y a pas qu’Hamlet qui trouve que quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark.

11. Écrire des lipogrammes pour se vider le coeur : vil rêve ni mièvre ni tiède, ni intense ni immense…  Le rêve… Est-il ici en cette ville? Menteries! Pipes insipides : vide, le rêve!

12. Crier, lever le fer, blesser le silence à coup d’épées dans l’air tandis que les moulins, ailes dans le vent, sans relâche, continuent de moudre le grain se fichant pas mal des illuminés, inspirés ou pas.

13. Avoir la tête enflée et se jeter des fleurs parce que son nom apparait en manchette du Monde.

14. Tweeter les url qui feront de soi une star.

15. Filer vers minuit dès que le fil du temps glisse vers le lit du fleuve et dessine sur l’écume impétueuse, ivre de désir, ses lèvres…

16. Se jeter du haut du cap : dangereux? Ardu? Suspect? Même pas! Superbe et exaltant! Ne pas le retrouver en bas, c’est surtout ça!

17. Marcher sur des oeufs et s’écraser sur le plancher.

18. Relire les 8414 tweets écrits depuis trois ans pour trouver l’inspiration.

19. Boire du vin, une coupe, une autre, puis ne plus compter parce qu’en être incapable.

20. S’aimer.

21. Persévérer et signer parce que tout est dit et que rien ne vaut de continuer.

 

 

Première version, le 1er mai 2013, Minuit moins 5

Deuxième version, le 3 mai 2013, 9h52

 

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Destinées fractales

25 août 2011

«Ce que nous voyons et entendons finit par ressembler et même par se confondre avec ce que nous n’avons pas vu ni entendu, ce n’est qu’une question de temps, ou bien suffit-il que nous disparaissions… Parfois j’ai le sentiment que rien de ce qui arrive n’arrive vraiment, parce que rien n’arrive sans interruption, rien ne perdure, ne persiste, ne se rappelle constamment, et même la plus monotone et routinière des existences s’annule et se nie elle-même dans son apparente répétition, au point que rien ni personne n’a jamais été le même auparavant, et la faible roue du monde est mue par des sans-mémoire qui entendent, voient et savent ce qui n’est pas dit et n’a pas lieu, est inconnaissable et invérifiable. Ce qui se fait est identique à ce qui ne se fait pas, ce que nous écartons ou laissons passer, identique à ce que nous prenons ou saisissons, ce que nous ressentons, identique à ce que nous n’avons pas éprouvé. Pourtant notre vie dépend de nos choix, et nous la passons à choisir, rejeter et sélectionner, à tracer une ligne qui sépare ces choses équivalentes, faisant de notre histoire quelque chose d’unique qui puisse être raconté et remémoré. Nous employons toute notre intelligence, nos sens et notre ardeur à distinguer ce qui sera nivelé, ou l’est déjà, c’est pourquoi nous sommes pleins de remords, d’assurances et d’occasions perdues, de confirmations, d’assurances et d’occasions saisies, quand il s’avère que rien n’est sûr et que tout se perd. Ou peut-être n’y a-t-il jamais rien eu.»

Traduction Alain et Anne-Marie Keruzoré (Ed.Rivages poche)


à D. H.

 

6h44.

Malgré le sachet de lavande disposé sous son oreiller pour faciliter son sommeil, elle avait mal dormi. Comme hier. Comme la veille d’hier. Comme depuis plusieurs jours qu’elle forçait à essayer de calmer le grand feu, à l’éloigner, à l’éteindre. Immense charivari intérieur encore une fois! Elle qui pensait avoir trouvé la paix, avoir déjoué les fantômes du passé, elle qui pensait ne plus succomber à la folie du désir, elle luttait. Elle luttait une fois encore contre l’envie de tout plaquer, de se moquer des convenances, de museler ses valeurs et trahir ses principes. Elle luttait pour ne pas plonger et s’abîmer dans le gouffre séduisant des habitudes. Elle luttait pour ne pas provoquer la vie, le destin. Pour ne pas le provoquer, lui. Ne pas le pousser, ne pas lui forcer la main, ne pas l’entraîner dans la valse infernale où elle s’était déjà étourdie et perdue si souvent… C’était il y a autrefois. Du moins, elle le croyait…

 

Je suis folle, affolée, animée par le tourbillon d’anciens démons : passion, rêves, espoir, attente… Tisons brûlants, ils reviennent différents mais semblables, toujours aussi dévastateurs. Ma tête a mal, mon esprit est à l’étroit. Mon ventre crie famine. Mon coeur est sec.

 

Pas une oasis assez verdoyante pour étancher sa soif. Pas une terre assez fertile pour assouvir sa faim. Pas une parole assez douce pour calmer sa peur. Pas une caresse assez vraie pour chasser ses doutes. Tellement de paradoxes s’entrechoquaient et la désarçonnaient.

 

Je ne t’aime pas ; je n’ai pas besoin de toi ; je ne te connais pas.  Alors pourquoi? Pourquoi le souvenir attise-t-il la brûlure laissée par tes baisers ? Pourquoi ai-je tant envie de toi? Pourquoi toi? Pourquoi autant? Pourquoi seulement toi?

 

Elle avait envie de lui alors qu’elle savait qu’il était une cité interdite. Elle avait envie de lui alors qu’elle savait qu’elle courait à sa perte. Elle avait envie de lui alors qu’elle savait qu’il n’existait rien, qu’il n’y aurait rien, que tout était vain, qu’il n’existait pas puisqu’il ne pouvait rien être pour elle, qu’elle n’existait pas puisqu’elle n’était rien pour lui. Il avait raison : dans le réel, c’est là que la partie se jouait. Pour le moment, aucune partie n’était commencée. C’était l’absolu du vide, la splendeur vertigineuse du néant ouvert sous ses pieds, attirant, accaparant, avalant : le chaos. Théorie du vide et non pas apologie du bonheur. Un vide qu’elle comblait par des jeux misérables où il devenait son partenaire, où son imagination malade inventait des chimères, sirènes, traitresses, admirables et puissantes, où elle gaspillait son temps, où elle maquillait sa vie comme au cirque même si elle détestait les larmes du clown quand le rideau tombait.

 

Elle avait pris une grande feuille blanche et avec soin, calligraphiant ses lettres lentement, comme pour apprécier la liberté qu’elle s’octroyait, elle avait tracé ces mots :

«Adieu, c’est le seul mot qui convient. Game over puisque les dés sont pipés. Retour à la case départ sans passer par la prison ni voler la banque. Attendre un autre tour, mon tour. Attendre une autre main, une meilleure. Croire que la roue tournera, que la chance me sourira.»

 

 

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La survivante

16 mai 2011

à M.G

 

 

 

 

 

Encore une fois

Toujours la même, la même fois

Inlassablement

Se répétant?

 

Faux départ

 

Retour au starting-block

 

Secouer la tête, les bras, les jambes

Oublier les clameurs et les cris

Évacuer la pression

Plonger en soi

Faire le vide

Souffler

 

Se rappeler les écueils

Décomposer ses mouvements

 

Se pardonner l’erreur

 

Se positionner

Se concentrer

 

Attendre le signal

Le corps tendu

Aux aguets

 

Coup de pistolet

 

S’élancer

Recommencer encore une fois

Répéter les gestes inlassablement

Chaque foulée dans l’empreinte des précédentes

 

Fixer le regard loin au-delà de l’horizon

 

Brandir les bras au ciel

Une autre fin

Enfin

 

 

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Ni toi sans moi, ni moi sans toi

18 avril 2011

Je suis suspendue entre ciel et terre. En état d’apesanteur, je revisite les dernières semaines, depuis que tu m’as écrit, depuis que je t’ai répondu et depuis que nous nous sommes retrouvés.

Ton fantôme revient toujours après le silence. Sortilège? Suis-je responsable de l’éternel recommencement? Ai-je moi-même créé l’union indélébile de nos destins en t’offrant l’anneau d’argent?

Les nuages dessinent d’étranges arabesques : il y a comme une tranchée qui se perd sur l’horizon, menant Dieu sait où. J’aimerais savoir si le chemin entre les nuages dont on ne voit pas la fin, c’est le mien, c’est le tien, c’est le nôtre. Savoir s’il mène nulle part ou s’il mène ailleurs.

Un mot martèle mon esprit embrumé par la fatigue de la nuit passée avec toi : cohérence, cohérence, cohérence. Pourtant, je n’ai pas l’impression de perdre pied ni d’errer sans boussole. Jamais je ne me suis sentie aussi libre et sereine. Alors pourquoi ce besoin malgré tout de vouloir comprendre et donner un sens à mes choix?

J’ai rêvé cette nuit que la vie s’installait en moi, une petite fille : Niska. Nous avions décidé de ne jamais la connaître.

L’hôpital, une salle éclairée de néons bleutés, il fait froid. Je suis allongée. Dans quelques instants, une machine va nous enlever Niska. Tout à coup, je ne veux pas. Je ne veux plus. Une boule monte dans ma gorge. Ça n’a pas de bon sens! Je suis folle. Tu vas m’haïr… Des larmes m’empêchent de voir les gens qui s’affairent autour de moi. Tu caresses ma main. Tu vas m’haïr… Je tourne mon visage vers toi. Tu dois savoir, mais tu vas m’haïr… Tes yeux s’assombrissent. Je serre ta main et ma tête s’agite sur l’oreiller : non, non, non… NON! J’ai crié, fort, très fort, si fort que tout le monde fige sauf nos regards qui se choquent, qui s’enlacent, qui se tordent… Toi qui comprends tout à coup, toi qui paniques, toi qui veux fuir, et mes doigts qui s’accrochent à ta paume pour t’empêcher de partir, et mes yeux qui s’amarrent à tes yeux pour te retenir. Tes lèvres prononcent des mots que je n’entends pas. Tu dois m’haïr…

Mon corps se blinde, il devient armure, mes cuisses une forteresse impénétrable. On ne me prendra pas notre fille! Je la garde. Elle vivra. Je murmure son nom comme une incantation : «Niska, Niska, Niska» jusqu’à ce que la mélodie de ces deux syllabes me calme et que je t’entende enfin : «Ma belle, ma douce, qu’est-ce que tu fais là? On était d’accord, non? Juste nous deux, libres, amants, sans attaches, pour toujours… Ma louve, ma lionne, ma maîtresse, ma fugueuse, mon inséparable, mon unique parce que ma différence. Je t’en prie, ne deviens pas l’une d’entre les autres. Tu sais que tu vas me perdre… Pourquoi tu gâches tout?» Et tu répètes comme si tu n’y croyais pas, comme si c’était un mauvais rêve : «Pourquoi tu gâches tout, Préciosa? Pourquoi tu ne m’aimes pas assez pour n’aimer que moi? » Et des larmes, soudain. Tes yeux remplis de larmes en prononçant ces derniers mots… Des larmes! Les premières depuis que je te connais, des larmes qui me disent à quel point tu as peur, à quel point tu as peur de me perdre, à quel point tu as peur que l’enfant change tout entre nous parce que c’est la seule chose que t’a appris le passé, l’énigme apeurante que tu n’as jamais voulu résoudre, fuyant en te réfugiant dans d’autres bras à chaque fois…

Je ne pleure plus. Je te regarde, tendrement. Tu ne me perdras pas. Jamais. Ainsi en est-il de nous; ni toi sans moi, ni moi sans toi : le lai du chèvrefeuille

Je vais me lever et quitter cette pièce aseptisée où nous voulions sacrifier notre passion. Je vais me lever, ouvrir la porte, marcher dans le long corridor et sortir dans le soleil d’avril. Je vais me sauver. Je vais la sauver. Je vais nous sauver.

Dans le silence immobile, tout s’est arrêté. Nous sommes face à face. Je te souris. Je colle mon corps contre le tien. Nos lèvres se trouvent une dernière fois. J’y goûte le sel de tes larmes. Je te murmure dans un souffle : «Comprends que nous ne mourrons jamais. Désormais, il y a Niska. Je pars avec elle sinon je meurs. Alors chasse-moi, poursuis-moi, traque-moi. Ne me laisse aucun répit, jamais, nulle part. Ni toi sans moi, ni moi sans toi.»

Vol AA921, Montréal-Miami, 14h28, le 1er avril 2011

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